Dans un scénario, qui n’est pas invraisemblable, où la croissance du PIB serait également de 1,4 % mais où celle des dépenses serait de 2,0 %, soit un peu moins que la moyenne des années 1999 à 2008, le déficit serait de 7,9 % du PIB en 2030 et la dette atteindrait 142 % du PIB. Sa hausse n’aurait pas de limite.
Dans des scénarios plus probables où la croissance du PIB et des dépenses est comprise entre 1,0 et 1,4 %, le déficit public serait compris entre 3,0 et 5,5 % du PIB en 2030 et la dette se situerait entre 120 et 130 % du PIB.
Si le taux d’intérêt moyen sur le stock de dette publique continuait à diminuer jusqu’à 2030 comme dans les dix dernières années, le taux de croissance des dépenses primaires (hors intérêts) pourrait être supérieur de seulement 0,2 ou 0,3 point à celui de l’ensemble des dépenses publiques qui a été retenu dans ces scénarios, ce qui était déjà le cas dans les années 2009-2019 (la croissance en volume de l’ensemble des dépenses publiques était de 1,0 % par an et celles des dépenses primaires de 1,3 %). La diminution de la charge d’intérêt n’offre donc pas beaucoup de marges de manœuvre pour limiter la croissance des dépenses publiques.
Le seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques est impossible à déterminer parce qu’il dépend de nombreux paramètres mal connus, difficilement quantifiables et souvent spécifiques à chaque pays et à chaque période : la crédibilité du gouvernement, la solidité des institutions, l’endettement net vis-à-vis du reste du monde, la dette des autres pays, la capacité à augmenter les impôts ou à réduire les dépenses publiques…
Les économistes considèrent que, pour assurer la soutenabilité de la dette publique et éviter une telle crise, il faut pouvoir la stabiliser en pourcentage du PIB et montrer ainsi qu’elle est sous contrôle. C’est une condition nécessaire de sa soutenabilité, mais elle n’est pas suffisante car le niveau auquel la dette est stabilisée n’est pas indifférent. Même si personne ne sait quand survient une crise, il est sûr que plus ce niveau est élevé, plus le risque est important. À cet égard, la perspective d’un endettement compris entre 120 et 130 % du PIB en 2030 n’est pas rassurante.
Ce risque à long terme doit toutefois être relativisé dans la mesure où les banques centrales sont devenues les principaux créanciers des États (18 % de la dette publique de la France était détenue par la banque centrale fin 2019). On peut en effet penser qu’elles prêteront toujours aux États (indirectement dans la zone euro) pour les préserver d’un défaut de paiement. Pour certains économistes, les banques centrales devraient aller jusqu’à accorder aux États des prêts perpétuels ou des subventions (éventuellement sous forme d’annulations de créances).
Toutes les banques centrales ont cependant pour mission de lutter contre l’inflation. Si les économistes sont partagés sur les perspectives de hausse des prix à court et moyen terme à la suite de la crise actuelle, il est impossible d’exclure une reprise de l’inflation à long terme. Les banques centrales seraient alors obligées de relever les taux d’intérêt et de réduire leurs créances, y compris sur les États. Ceux-ci se retrouveraient alors dans la même situation qu’avant la crise de 2008 et le développement des politiques monétaires non conventionnelles. Celles-ci repoussent plus loin dans le temps le risque de crise des finances publiques mais ne l’éliminent pas.
Comme les autres banques centrales, la BCE ne peut pas se mettre dans une situation où la politique monétaire serait dominée par la politique budgétaire, c’est-à-dire où elle serait obligée de continuer à financer les États au détriment de la stabilité des prix, notamment parce que l’inflation facilite la baisse du ratio dette / PIB en majorant son dénominateur. Elle ne peut donc pas accepter que les États dépendent trop fortement de ses financements.
Pour financer nos dépenses publiques, nous ne pouvons compter indéfiniment ni sur la BCE, ni sur l’Union européenne. Celle-ci vient certes de franchir une étape très importante en acceptant d’emprunter pour subventionner les États membres, ce qui leur permettra de moins s’endetter. Ces emprunts européens devront toutefois être remboursés, certes à long terme, et si les nouveaux impôts communautaires envisagés ne sont pas mis en œuvre - car cela sera politiquement et techniquement très difficile - les États seront mis à contribution.
Surtout, la mise en commun de ressources pour les redistribuer entre pays européens dans une logique de solidarité ne pourra pas aller beaucoup plus loin sans que les pays du Sud de l’Europe ne mettent en œuvre des réformes qu’ils ont beaucoup de mal à accepter. Il n’est en effet pas certain que l’Allemagne et les pays dits frugaux privilégient indéfiniment la solidarité à la responsabilité. La cohésion de l’Union européenne est fragile et si les signes de cette fragilité devenaient trop forts, la prime de risque des emprunts français pourrait fortement monter et rendre notre dette insoutenable.
Nous devrons donc reprendre le contrôle de la dette publique en ramenant le déficit à un niveau raisonnable, ce qui impose de ne pas dégrader sa composante structurelle par des mesures de relance. Il faut certes soutenir et relancer l’activité par des mesures budgétaires massives, mais elles doivent rester temporaires. Les revalorisations salariales dans la fonction publique hospitalière, qui sont légitimes, devraient donc être accompagnées de mesures visant à améliorer l’efficacité du système de santé ; la baisse des impôts de production est une erreur de politique économique, bien qu’elle permette d’améliorer la compétitivité des entreprises et donc de sauver des emplois, parce qu’elle est pérenne et risque fortement d’obliger un jour à relever les impôts.
Copyright : Ludovic MARIN / POOL / AFP
Ajouter un commentaire