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05/05/2021

Les mots de Xi Jinping : ce que pense le "Président de tout"

Trois questions à François Godement

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Les mots de Xi Jinping : ce que pense le
 François Godement
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Les éditions Dalloz publient le 12 mai Les Mots de Xi Jinping, un recueil de citations du président chinois, sélectionnées par François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. Ce petit livre capture une partie de la "Pensée Xi Jinping", inscrite dans la Constitution, omniprésente dans les médias, et dont l’étude est fortement recommandée. Ces citations reprennent souvent des textes et des discours depuis la jeunesse de Xi, et publiés ou republiés après son accession au pouvoir. Elles ne peuvent bien sûr couvrir tout le champ de la gouvernance de la Chine, qui fait déjà l’objet de trois volumes. Pour saisir ce qui ressort de ces propos choisis, nous avons posé trois questions à François Godement. 

Pourquoi avoir choisi de compiler ces mots de Xi Jinping, et sur quels mots votre choix s’est-il porté ? 

Cet exercice a une justification première : Xi Jinping a atteint en Chine une stature qui n’est pas loin d’égaler celle de Mao Zedong, notamment par sa place dans la propagande officielle. Et parce que l’homme lui-même, héritier d’une famille de dirigeants, est extrêmement confiant dans sa bonne étoile, et qu’il s’exprime souvent de façon plus personnelle que d’autres dirigeants de l’ère de la direction collective (1978-2012). 

Autrement dit, même si la multiplicité des discours et des écrits du "Président de tout" pourrait nous amener à décrire de manière littérale la gouvernance chinoise par le menu, on trouve dans ces quelques citations de Xi des mots clefs, un substrat qui est aussi d’ordre psychologique et qui révèle chez lui un vrai credo politique. Bien sûr, ce credo est aussi construit, notamment parce que nombre de ses discours ont été compilés après coup, à partir de 2012, année de son accession au pouvoir - cela rappelle, à leur époque, l'élaboration des œuvres de Mao ou celle des discours de Deng Xiaoping, objets de nombreuses réécritures postérieures. Ce recueil navigue donc entre ce que Xi Jinping et ses épigones ont voulu montrer, et ce que le rapprochement des citations révèle parfois. 

Parmi les textes que j’ai parcourus pour cet ouvrage, je n’ai donc retenu qu’une petite part de ce que je lisais : des citations très concrètes, parfois terre-à-terre, ou révélatrices chez Xi de ses priorités ou de certaines obsessions. Certains pans de sa pensée n’y sont pas reproduits : La Gouvernance de la Chine selon Xi Jinping, qui fait l’objet d’une publication en trois gros volumes, n’est par exemple pas épuisée par ce recueil. 

Certaines de ces citations témoignent aussi du grand écart politique qu’a pu faire Xi Jinping à certains moments de sa carrière, ou bien de l’écart entre son expression à l'intérieur de la Chine et à l'international. Par exemple, le Xi Jinping des années 1980 et 1980 est un homme qui fait l’éloge de la réforme ("La réforme doit être à la fois dynamique et proactive, méthodique et prudente", 1984).

Certaines de ces citations témoignent aussi du grand écart politique qu’a pu faire Xi Jinping à certains moments de sa carrière, ou bien de l’écart entre son expression à l'intérieur de la Chine et à l'international.

Le Xi Jinping d’aujourd’hui met souvent l’accent sur l’héritage, la tradition, le marxisme et le règne absolu du Parti pour l’avenir du pays. Quant à l’écart entre ce que Xi dit en Chine et ce qu’il dit à l’international, relevons l’évidente contradiction entre son recours, en Chine, à la notion de rivalité, comme ses affirmations sur la lutte, et sur la supériorité du socialisme à la chinoise ("Il faut appréhender correctement la force vitale et l'immense supériorité du système socialiste", mars 2010), et à l’international sa tendance à promouvoir la notion de gagnant-gagnant et son amour affiché pour le multilatéralisme : "le multilatéralisme ne doit pas servir de prétexte à des actions unilatérales. Les principes doivent être sauvegardés et les règles, une fois adoptées, doivent être suivies par tous", une phrase prononcée en janvier dernier au Forum économique mondial de Davos.

Quel est, parmi les mots de Xi Jinping, celui qui vous a le plus marqué ?

Le mot le plus marquant est bien celui de "lutte" (斗争, douzheng), qui, dans les écrits et discours de Xi Jinping, revient parfois jusqu’à l’obsession. Nous n’en avons repris que quelques occurrences. Mais ce terme évoque à beaucoup de Chinois d’un certain âge le souvenir terrible de la Révolution culturelle, où on "luttait quelqu’un", le verbe étant alors utilisé de façon transitive. Dans un discours officiel prononcé en 2019, Xi a par cinquante-six fois prononcé le mot lutte, ainsi que l’expression "grande lutte". Pour Xi Jinping, la lutte peut aussi bien être celle que l’on mène contre l’épidémie de Covid-19, que la lutte contre la pauvreté ("Pendant bien des années, je me suis occupé de lutte contre la pauvreté, et d’ailleurs je suis originaire d’une zone de pauvreté"), que celle qui est menée au Xinjiang, selon ses mots afin de "lutter contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme", ou encore que celle qu’il convient pour lui de mener contre la corruption ("La lutte contre la corruption de notre Parti n’est pas un menu à la carte comme Spotify"). 

Ce terme résume l’expérience et sans doute la philosophie d’un homme qui, déchu du paradis des dirigeants chinois pendant son adolescence, a regagné, à marche forcée, l’Olympe de ces dirigeants. De cette expérience qui a marqué tant de Chinois sous la Révolution culturelle, il n’a pas tiré l'idée de la nécessité d’une démocratie. Il lui a au contraire préféré l’idée qu’en politique, seule la lutte compte : la lutte menée par le Parti, qui est au-dessus de tout, y compris pour la fabrication de la loi, et la lutte qui marque l’ascension de la Chine sur le plan international. À l’appui de cette lutte, Xi Jinping invoque souvent l’héritage des penseurs et dirigeants du marxisme-léninisme, du stalinisme, et même de Mao Zedong, dont la critique est aujourd’hui interdite ou mise en sourdine. 

Sans tout à fait ressusciter la supériorité du "rouge" sur "l’expert", comme le voulaient les slogans de la Révolution culturelle, Xi Jinping fait néanmoins un constant éloge de la rustication des cadres et des intellectuels, de l’expérience tirée de la terre chinoise et du contact direct avec les masses. Ce thème coexiste avec un éloge néo-confucéen de la sagesse traditionnelle et des penseurs de la Chine classique. Les propos de Xi Jinping enterrent l’idée d’une convergence des normes et des valeurs avec les sociétés démocratiques. Ce n’est pas seulement une question de nationalisme, mais l’affirmation de la supériorité du modèle socialiste chinois. 

En politique, seule la lutte compte : la lutte menée par le Parti, qui est au-dessus de tout, y compris pour la fabrication de la loi, et la lutte qui marque l’ascension de la Chine sur le plan international.

Dans ces citations, quelle part attribuez-vous à une sorte de langue de bois ou d’affichage, et quelle part apparaît comme le reflet de politiques réellement menées par Xi Jinping ?

Il faut tirer de l’ensemble des écrits et des propos de Xi Jinping une leçon : il n’est ni un "liquidateur" (selon le mot de Lénine) du socialisme, ni même vraiment un réformiste, mais il est obstiné dans la mise en place d’un cadre rigoureux de gouvernance, dans lequel les règlements tiennent la place de l’état de droit, dans lequel le combat contre la corruption matérielle, psychologique ou idéologique est également une obsession, et pour lequel il fixe des objectifs très concrets dans presque tous les domaines. 

On n’est pas ici dans le romantisme idéologique d’un Mao Zedong, mais dans la direction minutieuse et la rectification incessante d’une voie socialiste à la fois technocratique et dirigée par le Parti, au service de la nation et des masses chinoises. Sans doute est-ce, au-delà des tournants de la vie et de la carrière de Xi Jinping, la justification fondamentale qu’il s’est trouvée et qui lui permet probablement d’envisager d’être le dirigeant à vie du pays.

Chez Xi Jinping, on trouve à la fois l’emphase politique et la minutie de la gouvernance. Au sein de celle-ci, l'éradication de la pauvreté, un de ses titres de gloire, ne concerne certes que les 5 % les plus pauvres de la population, et s’accompagne de méthodes très autoritaires, mais elle est aussi un accomplissement important. 

Ce recueil n’est pas dénué quelquefois d’ironie involontaire. Mais il dégage aussi l’impression générale d’une ambition protéiforme que nourrit Xi Jinping pour le pays et d’un accent permanent sur la mise en œuvre de cette ambition. 

 

 

Copyright : ANTHONY WALLACE / AFP

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