À ce jour, le pays emprunte encore à des taux négatifs et, dans le pire scénario des prévisionnistes, la dette publique, atteindrait "seulement" 74 % du PIB fin 2021. Donnée essentielle, si l’on veut comprendre les réticences néerlandaises pour venir en aide aux pays du Sud, a fortiori dans le cadre d’une mutualisation des dettes, dont ils seraient, avec les Allemands, les perdants évidents.
Au total, le pays aura opté pour une politique fondée sur le pragmatisme et le civisme (ou, diront certains, le conformisme et le contrôle social) qui sont les grands traits de la société néerlandaise. S’y mêlent l’héritage d’Erasme, celui de Calvin et un habitus solidaire forgé dans la lutte contre les eaux et de trop puissants voisins. La coopération très ancrée dans les mœurs nationales entre État et entreprises s’est avérée décisive sur la question vitale des biens médicaux dont l’approvisionnement d’urgence est géré par un consortium public/privé. De même, l’implication immédiate des maires dans les mesures de confinement traduit une longue pratique de dialogue entre autorités centrales et locales. À quoi s’ajoute le sens du compromis dans une vie politique fondée sur des coalitions : aujourd’hui, un ensemble de quatre partis, dominé par les libéraux du VVD, auxquels - signe des temps - est venu s’adjoindre, à titre individuel, Martin van Rijn, personnalité du parti travailliste (PvdA). Il a repris en main, le 23 mars, le redoutable poste des soins médicaux (Medische zorg), où son prédécesseur s’était épuisé. Il se pourrait bien qu’en temps de crise, un système de coalition, dans le cadre d’un suffrage intégralement proportionnel comme aux Pays-Bas, présente un avantage en termes de représentativité sur les systèmes à scrutin et parti majoritaires. Le gouvernement néerlandais ressemble désormais fort à un cabinet d’union nationale, même s’il penche clairement au centre-droit. Tout comme l’opinion publique, au demeurant.
Une coalition qui a aussi su bien gérer la parole publique, malgré quelques couacs : ici aussi, les masques ont été déclarés "inutiles", susceptibles même de provoquer un sentiment de "protection illusoire" ; ici aussi, la fermeture des écoles a été ordonnée, après avoir été exclue quelques jours plus tôt. La conférence de presse du 23 mars sur les mesures de confinement a été "désordonnée" (rommelig), d’après Mark Rutte lui-même. Mais, justement, et à plusieurs reprises, le gouvernement a reconnu erreurs et revirements. Il a fait preuve d’humilité, devant prendre, là encore selon le mot du Premier ministre, "avec 50 % de connaissance, 100 % des décisions".
Humilité qui n’exclut pas la solennité : fait sans précédent depuis 1973, le Chef du gouvernement s’est adressé solennellement à la nation le 16 mars, et le roi Guillaume-Alexandre est venu à deux reprises apporter un message de réconfort à son peuple. La qualité de leur parole, dans un pays pourtant peu porté à la rhétorique, a fait le reste, avec des discours brefs, énoncés avec le "nous" du collectif, dosant bien l’empathie et l’autorité, la mise en garde et l’espoir.
C’est pourquoi, à l’approche des élections générales prévues pour dans dix mois, Mark Rutte sort pour le moment renforcé de cette crise, qui lui aura fait gagner 30 points de popularité (75 % aujourd’hui), l’un des plus hauts scores des dirigeants occidentaux.
En somme, des résultats contrastés mais une résilience collective qui invitent à penser qu’avant de provoquer l’avènement d’un "nouveau monde", une crise aussi dévastatrice que celle du Covid-19 opère comme un "fait social total", pour reprendre le mot de Marcel Mauss, et révèle d’abord les forces et les faiblesses d‘une communauté.
Copyright : Remko DE WAAL / ANP / AFP
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