Avec la déclaration de l’état d’urgence, l’Espagne met en place l’un des confinements les plus stricts d’Europe. Les déplacements sont limités au strict minimum, les manifestations interdites et la plupart des magasins sont contraints de fermer. Les mesures dérogatoires permettant aux Espagnols de sortir de chez eux - pour effectuer des achats de première nécessité, travailler lorsque le télétravail est impossible ou sortir leurs animaux de compagnie - ont pour effet de confiner totalement les enfants. Ceux-ci sont en effet vus comme un facteur de diffusion du virus et contraints de rester à la maison pour une durée qui dépassera finalement plus d’un mois et demi. Le caractère radical de cette mesure et l’effet psychologique qu’elle pourrait avoir sur le long terme suscitent d’importants débats en Espagne et ce n’est pas un hasard si les premières mesures de dé-confinement annoncées par le gouvernement mi-avril concernent précisément la possibilité pour les enfants de sortir de chez eux, une heure par jour.
Le "meilleur système de santé au monde" ?
À travers la déclaration de l’état d’urgence, tous les moyens sanitaires civils et militaires, publics et privés, sont également mis à disposition du ministère de la Santé. Toutes les entreprises privées possédant du matériel médical et de protection disposent de 48h pour le notifier aux autorités nationales. L’armée et ses "Unités Militaires d’Urgence" sont immédiatement mises à disposition pour désinfecter les lieux à risque, participer à l’édification d’hôpitaux de campagne ou évacuer les cadavres…
La mobilisation de la société espagnole pour soutenir l’effort national est marquée par plusieurs actions emblématiques. Dès le 25 mars, le Real Madrid transforme son stade en lieu de stockage pour les dons des entreprises à destination du système hospitalier et le patron du groupe Inditex (Zara), débloque près de 62 millions d’euros dans l’achat de matériel médical pour lutter contre l’épidémie. Comme dans les autres pays d’Europe, les industries textiles et automobiles modifient leurs chaînes de production pour produire du matériel de protection et les respirateurs qui font cruellement défaut. À Madrid, le manque de places dans les hôpitaux aboutit à la transformation du Centre des expositions en hôpital de campagne. Malgré cette mobilisation, les hôpitaux sont totalement débordés. Le manque de lits en soins intensifs et de respirateurs conduit la Société espagnole de médecine à publier un guide éthique permettant d’orienter les unités de soins intensifs sur le choix des patients à traiter. Le personnel médical est également l’un des plus touchés d’Europe : le 10 avril, une étude révélait qu’au moins 15 % des cas détectés concernaient le personnel de santé et que 19 000 médecins et infirmiers avaient été testés positifs depuis le début de l’épidémie.
Pour combler le manque de matériel, le gouvernement espagnol met en place dès la fin du mois de mars un pont aérien avec la Chine. Un contrat de 430 millions d’euros est conclu par le ministère espagnol de la Santé avec des fournisseurs chinois pour apporter 550 millions de masques chirurgicaux, FFP1 et FFP2, 5,5 millions de tests rapides, 11 millions de paires de gants et 950 respirateurs artificiels. Malgré le volontarisme affiché par le gouvernement, les communautés autonomes les plus touchées reprochent au gouvernement central une mauvaise répartition du matériel et son incapacité à transférer les patients vers les hôpitaux des régions les moins affectées. Un scandale éclate par ailleurs après qu’une partie des tests rapides et des masques achetés en Chine par le gouvernement se sont révélés défectueux.
Dans une tribune publiée sur le site du New York Times, le journaliste et essayiste David Jimenez estime que la confiance excessive de l’Espagne dans la qualité d’un système de soins, considéré comme l’un des meilleurs du monde, explique en partie la difficulté du pays à faire face à l’épidémie. Si l’Espagne présente en effet l’espérance de vie à la naissance la plus élevée d’Europe, l’un des systèmes les plus égalitaires et un nombre de médecins par habitant bien plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE, le niveau de ses dépenses de santé ramenée au PIB (8,9 %) se situe nettement en dessous de la moyenne européenne (9,8 %). L’hôpital apparaît comme la première victime de ce sous-investissement, puisque le nombre de lits d’hôpital pour 1 000 habitants se situe en dessous de la moyenne de l’UE et que le nombre de lits en soins intensifs pour 100 000 habitants s’élevait avant la crise à 9,7 unités, contre 16,3 pour la France et 33,9 pour l’Allemagne. Pour David Jimenez comme pour de nombreux commentateurs, la saturation du système de soins espagnol est le produit direct des années d’austérité ayant suivi la dernière crise financière.
Une réponse économique et sociale à la crise
Si la perspective d’une récession en Espagne est inévitable, le royaume entend tout mettre en œuvre pour éviter que l’économie ne se retrouve dans une situation comparable à 2008. Selon les prévisions du FMI, l’Espagne, qui tablait sur une croissance de 1,2 % en 2020, devrait connaître un recul du PIB de 8 % en 2020, avant une reprise de 4,3 % en 2021.
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