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28/04/2020

Les États face au coronavirus - Le Royaume-Uni, un laissez-faire coûteux

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Les États face au coronavirus - Le Royaume-Uni, un laissez-faire coûteux
 Milo Rignell
Auteur
Expert associé - IA & Nouvelles Technologies

Chronologie

  • 30 janvier : le gouvernement britannique relève le niveau de risque de “faible” à “modéré” suivant la déclaration par l'OMS que le Covid-19 constitue une urgence de santé publique de portée internationale.
  • 31 janvier : les deux premiers cas de coronavirus sur le territoire britannique sont confirmés à York. 
  • 10 février : le gouvernement britannique annonce des "pouvoirs renforcés" permettant aux professionnels de santé de placer des personnes en quarantaine forcée pour leur propre sécurité. 
  • 3 mars : le gouvernement britannique publie son “plan d'action contre le coronavirus” centré sur quatre axes : contenir le virus, retarder sa propagation, rechercher ses origines et son traitement, et atténuer l'impact si le virus se répand. 
  • 4 mars : la National Health Service (NHS), le service de santé publique britannique, déclare l'épidémie un "incident de niveau 4", le niveau d'urgence le plus élevé. 
  • 5 mars : premier décès lié au Covid-19 identifié au Royaume-Uni. 
  • 10 au 13 mars : le festival de Cheltenham, un championnat de courses hippiques, accueille 250 000 participants.
  • 11 mars : la Banque d'Angleterre réduit son taux directeur de 0,75 % à 0,25 %, le ramenant au niveau le plus bas de son histoire. Le gouvernement annonce son budget 2020, qui comprend 12 milliards de livres sterling de mesures visant à protéger l'économie contre le coronavirus.
  • 12 mars : A la suite de la déclaration de l'OMS que la flambée de Covid-19 constitue une pandémie, le gouvernement relève le niveau de risque de “modéré” à “haut” et  annonce être passé dans la seconde phase de sa stratégie, visant uniquement à ralentir la progression du virus. La stratégie de tests et de traçage est modifiée pour privilégier le personnel soignant et les Britanniques présentant des symptômes sont priés de respecter 7 jours d’auto-isolement. 
  • 13 mars : les élections locales et municipales, prévues pour mai 2020, sont reportées d'un an.
  • 16 mars : lors de son premier point de presse quotidien, le Premier ministre Boris Johnson conseille de ne pas voyager et d'éviter les contacts "non essentiels". Il suggère également d'éviter les pubs, les boîtes de nuit et les théâtres, ainsi que de travailler de chez soi dans la mesure du possible. Un groupe de chercheurs d’Imperial College publie une étude prévenant que l'épidémie pourrait faire jusqu'à 510 000 morts au Royaume-Uni en l’absence de mesures, et 250 000 avec les mesures existantes. 
  • 17 mars : le gouvernement annonce un programme de soutien d'urgence de l’économie de 350 milliards de livres sterling, dont 330 milliards de garanties de prêts. 
  • 18 mars : le gouvernement annonce la fermeture des écoles jusqu'à nouvel ordre à compter du 20 mars. 
  • 19 mars : la Banque d'Angleterre réduit son taux d'intérêt directeur de 0,25 % à 0,1 %. 
  • 20 mars : le gouvernement ordonne la fermeture des cafés, pubs, restaurants, boîtes de nuit, théâtres, cinémas, gymnases et centres de loisirs et annonce des subventions couvrant 80 % des salaires, dans la limite de 2 500 livres sterling par mois. 
  • 21 mars : la NHS annonce un accord avec les hôpitaux privés, garantissant près de 20 000 employés qualifiés et des milliers de lits supplémentaires.
  • 24 mars : le Royaume-Uni met en place un confinement national pour au moins trois semaines et annonce la préparation d’un hôpital temporaire, le NHS Nightingale Hospital, au centre d'exposition ExCeL London. Celui-ci est le premier d’une série d'hôpitaux “Nightingale” ailleurs dans le pays et ouvrira ses portes le 3 avril.
  • 25 mars : le Parlement britannique ferme ses portes pendant un mois.
  • 26 mars : le gouvernement annonce l’extension des subventions aux travailleurs indépendants (couvrant 80% de leurs bénéfices jusqu'à 2 500 £ par mois). 
  • 27 mars : le Premier ministre, Boris Johnson, et le secrétaire d'État à la Santé, Matt Hancock, annoncent avoir été testés positifs au coronavirus.
  • 2 avril : le gouvernement annonce un plan de tests sur 5 piliers avec l’objectif d’augmenter la capacité à 100 000 tests par jour avant la fin du mois. 
  • 5 avril : discours de la Reine Elizabeth II, la cinquième intervention exceptionnelle de son règne. 
  • 6 avril : le Premier ministre, Boris Johnson est admis en soins intensifs. Le Premier secrétaire d'État et secrétaire d'État des Affaires étrangères, Dominic Raab, le remplace provisoirement à la tête du gouvernement. Le nombre de décès dépasse les 5 000 et le nombre total de cas signalés s'élève à près de 52 000.
  • 15 avril : le gouvernement lance un nouveau réseau pour fournir des équipements de protection individuelle au personnel soignant en maison de retraite.
  • 16 avril : le gouvernement annonce une prolongation du confinement de trois semaines, jusqu'au 7 mai, alors que le nombre de cas confirmés au Royaume-Uni dépasse les 100 000.
  • 21 avril : le gouvernement annonce un investissement de 42,5 millions de livres sterling pour des essais cliniques menés par Imperial College et l'Université d'Oxford.
  • 22 avril : Le Financial Times estime que le nombre réel de décès dus à l’épidémie est de plus de 41 000, soit plus du double du nombre officiel de décès à l’hôpital. 
  • 23 avril : Le gouvernement annonce que tous les “travailleurs essentiels” en Angleterre ainsi que les membres de leur foyer qui présentent des symptômes de coronavirus pourront se faire tester. Une étude à grande échelle sur les infections virales et les tests d'anticorps est lancée.
  • 27 avril : Boris Johnson reprend ses fonctions à la tête du gouvernement. 
  • 5 mai : le nombre de morts au Royaume-Uni devient le plus élevé d’Europe, seuls les États-Unis souffrent d’un bilan plus élevé dans le monde. 
  • 10 mai : le Premier ministre présente les grands axes du plan de déconfinement du gouvernement et encourage notamment les personnes ne pouvant pas travailler depuis chez eux à retourner sur leur lieu de travail. 
  • 1er juin : les écoles et les commerces sont autorisés à rouvrir progressivement.

 

Ce billet a été mis à jour le 4 juin 2020

Analyse

Le lendemain de sa sortie de l’Union européenne le 31 janvier 2020, alors que les premiers cas de Covid-19 venaient d’être détectés sur le territoire britannique, le Royaume-Uni avait une réelle opportunité de se mettre en ordre de bataille pour faire face à la crise qui approchait ses frontières. 

Malheureusement, bien que le pays ait bénéficié de quelques précieuses semaines de décalage par rapport à ses voisins européens - le premier décès sur sol britannique du 5 mars arrivant seulement 20 jours après le premier décès en France - le gouvernement britannique n’a pas su rapidement effectuer les préparations nécessaires et a longtemps adopté une stratégie explicite de ralentissement de la propagation du virus (et implicite d’immunité collective), plutôt que de suppression. Aux côtés des Pays-Bas, le Royaume-Uni a été l’un des seuls pays européens à adopter cette stratégie et ainsi tarder à instaurer des mesures coercitives (notamment de confinement). 

Le Royaume-Uni semble destiné à être l’un des pays européens les plus touchés par la crise du coronavirus.

Ce n’est que mi-mars, à la lumière de nouveaux modèles épidémiologiques informés par le cas italien et les premiers décès britanniques, que le gouvernement change radicalement de stratégie, culminant en un confinement national mis en place à partir du 24 mars. Les critiques de la stratégie du gouvernement par de nombreuses autorités laissent alors place aux critiques des médias de sa gestion de la crise.

Dans son édition du 19 avril, le Sunday Times, l’un des journaux les plus lus de la presse britannique et traditionnellement aligné avec le parti conservateur, publie un long article à charge contre la stratégie du gouvernement et le manque de sérieux de son chef. Malgré cela, la population est alors nettement moins critique à l’égard de son gouvernement qu’en France. Le 2 mai, un sondage de l’Ifop révèle que 62 % des Britanniques sont satisfaits de la gestion du dossier "coronavirus" par le gouvernement, contre 38 % des Français. Le confiance de la population du pays dans le gouvernement et son Premier ministre est néanmoins très durement impactée fin mai (- 20 points) lorsque Boris Johnson défend les actions de son proche conseiller Dominic Cummings, après qu’il ait été révélé que celui-ci aurait violé les règles du confinement pour visiter ses parents dans le nord de l’Angleterre.

Désormais le pays européen le plus touché avec près de 40 000 morts au 4 juin, deuxième dans le monde derrière les Etats-Unis, le gouvernement britannique mène depuis le 10 mai un jeu d’équilibriste avec « des petits pas provisoires » vers le déconfinement. Alors que les personnes ne pouvant pas travailler depuis chez eux sont incitées à retourner sur leur lieu de travail et que les écoles et les magasins rouvrent progressivement leurs portes depuis le 1er juin, de nombreuses voix s’élèvent pour mettre le pays en garde contre un déconfinement prématuré. 

La propagation du virus au Royaume-Uni

Les premiers cas de Covid-19 sur le sol britannique, deux touristes chinois, sont identifiés le 31 janvier. C’est cependant le troisième cas identifié le 6 février, un "super-spreader" britannique important le virus de Singapour, qui accélère sa propagation. Neuf jours plus tôt, celui-ci séjournait à la station des Contamines en France. 

La courbe des décès à l’hôpital qui en émerge suit, au début, une trajectoire proche de celle d’autres pays européens comme la France, avec quelques jours de décalage. En 10 jours, le nombre de décès au Royaume-Uni passe de 10 à 100 (en France, cette évolution a pris 9 jours). 

Alors que le nombre des décès par jour commence à décroitre dans de nombreux pays européens ayant mis en place un confinement national, la courbe de décès du Royaume-Uni tarde à s'aplatir. Seuls 15 jours séparent le 1000ème décès du 10000ème, alors qu’une telle évolution fut constatée en 23 jours en France

Le 4 juin, le Royaume-Uni, qui compte environ 67 million d’habitants, recensait 279 850 cas de contamination et 39 700 décès liés au Covid-19. Le nombre de morts se situe en moyenne à 274 sur les sept derniers jours et le 29 mai le gouvernement estimait le taux d’infection, le R0, entre 0.7 et 0.9. 

Le 24 avril, le Royaume-Uni recensait 108 000 cas de contamination et 19 500 décès à l’hôpital liés au Covid-19.

À titre de comparaison, la France compte à la même date 151 700 cas de contamination et 29 000 décès et l’Allemagne 182 400 cas de contamination et 8 550 décès.

Ces chiffres peuvent en partie être attribués à la stratégie adoptée par le gouvernement britannique qui, comparativement à ses pairs Français ou Allemands, a tardé à mettre en place des mesures strictes, comme l’illustre l’index des mesures gouvernementales proposé par la Blavatnik School of Government de l’Université d’Oxford.

Une stratégie de ralentissement, mais pas de suppression 

Inspiré par des plans d'urgence développés pour une grippe pandémique, le gouvernement britannique a rapidement adopté une stratégie centrée autour de quatre axes : contenir le virus le plus longtemps possible grâce au traçage, retarder sa propagation à défaut de l’arrêter, investir dans la recherche de solutions, et atténuer sa progression afin de pouvoir renforcer le système de santé britannique, la NHS (National Health Service). 

Affaibli par une décennie de politique d'austérité suivant la crise de 2008, au cours de laquelle les dépenses de santé ont en moyenne progressé de 1,4 % par an contre une moyenne historique de 3,7 %, le système de santé britannique était en effet plus fragile que d’autres en rentrant dans la crise du Covid-19. D’après l’OCDE, les dépenses de santé du Royaume-Uni représentaient 9,8 % du PIB en 2018, alors qu'en France et en Allemagne ce chiffre était de 11,2 %.

Cette stratégie initiale fut retenue en premier lieu du fait du taux de mortalité sous-estimé en début de pandémie, ainsi que de la frilosité du gouvernement à l’égard de mesures contraignantes telles qu’un confinement national. 

Du 10 au 13 mars, alors que l’Italie imposait une quarantaine nationale, 250 000 personnes assistaient au championnat hippique du Cheltenham Festival.

A partir du 31 janvier, date des premiers cas confirmés, c’est donc une campagne de sensibilisation qui a été lancée auprès du public britannique, recommandant en particulier un lavage régulier des mains, le temps de chanter "Joyeux Anniversaire" deux fois comme insiste Boris Johnson. 

Pendant ce temps, le pays prend un retard important sur la préparation du système de santé à plusieurs égards, notamment le développement de tests, l’approvisionnement en ventilateurs et en équipement de protection individuelle (PPE) et l’étude de mesures de confinement. 

Les comptes rendus des réunions du comité scientifique qui conseille le gouvernement, le SAGE, révèlent que des mesures de confinement national n’ont été envisagées que mi-mars, après le début du confinement en Italie. De son côté, réconforté par les conseils de psychologues et de spécialistes du comportement qui suggéraient que le public britannique ne respecterait pas des mesures de confinement strictes imposées trop tôt, Boris Johnson repousse ces options le plus tard possible et continue à rassurer le public britannique, expliquant que le Royaume-Uni est prêt pour faire face à la pandémie. 

Début mars, les chiffres italiens ainsi que les premiers cas dans les hôpitaux britanniques, suggèrent que la stratégie du gouvernement était mal informée, reposant sur des taux de mortalité sous-estimés. Le gouvernement tarde cependant à modifier son approche. Lors de sa conférence de presse du 9 mars, Boris Johnson insiste : "dans l'état actuel des choses, je crains qu'il ne faille répéter que la meilleure chose que nous puissions tous faire est de nous laver les mains pendant 20 secondes avec de l'eau et du savon".

Le 12 mars, le gouvernement annonce la transition vers le deuxième axe de sa stratégie : retarder la propagation du virus au sein de la population en réduisant et en élargissant son pic, sans toutefois le supprimer complètement. La propagation du virus à une proportion suffisamment importante de la population, estimée à 60 % par le conseiller scientifique du gouvernement, permettrait de développer une forme d’immunité collective. C'est ainsi que du 10 au 13 mars, alors que l’Italie imposait une quarantaine nationale, 250 000 personnes assistaient au championnat hippique du Cheltenham Festival. 

Le 16 mars, alors qu’un groupe de chercheurs d’Imperial College publie ses projections indiquant que l'épidémie pourrait faire 250 000 morts avec les mesures existantes, le gouvernement change de stratégie et pivote vers des mesures plus strictes. Lors de son premier point de presse du 16 mars, Boris Johnson demande aux citoyens britanniques de rester chez eux et de ne pas fréquenter des lieux publics. Deux jours plus tard, le gouvernement se résigne à la nécessité de mesures coercitives : la fermeture des écoles est annoncée le 18 mars et, le 20 mars, le gouvernement ordonne la fermeture des cafés, pubs, restaurants, boîtes de nuit, théâtres, cinémas, gymnases et centres de loisirs. Le 24 mars, le Royaume-Uni est placé sous "lockdown", un confinement national prévu pour trois semaines et qui sera ensuite étendu de trois semaines supplémentaires. Selon de nombreuses autorités, celui-ci est arrivé trop tard, alors que le pays enregistrait 422 décès depuis le début de la crise. À titre de comparaison, le 17 mars, le premier jour du confinement en France, 264 décès avaient été enregistrés. 

Des mesures économiques rapides et efficaces

Bien que l'approche du gouvernement à la crise sanitaire ait été marqué de plusieurs changements de stratégie et d’un retard à mettre en place des mesures plus fermes, la réponse économique du gouvernement a été reconnue pour son efficacité. Au total, le Trésor britannique a mobilisé plus de 450 milliards de livres sterling, soit environ 21 % de son produit intérieur brut de 2019. À titre de comparaison, au 16 avril la France avait mobilisé un peu plus de 622 milliards d’euros, soit près de 26 % de son PIB de 2019. Le gouvernement britannique a commencé la crise avec plus de marge de manœuvre que la France du fait d’une dette publique et d’un déficit inférieurs, respectivement à 79,5 % et 1,8 % du PIB en 2018-2019. Début mars 2020, alors que l’épidémie avait déjà débuté, le gouvernement prévoyait encore de réduire la dette du pays à 77,4 % du PIB en 2021.

Une première réponse préparée conjointement par le Trésor et la Banque d’Angleterre est annoncée le 11 mars, lorsque le nouveau Chancelier de l'Échiquier Rishi Sunak présente le budget 2020 du Royaume-Uni. Le Trésor consacre 12 milliards de livres sterling à la lutte contre la crise du coronavirus ; en parallèle, la Banque d’Angleterre réduit son taux directeur de 0,75 % à 0,25 %, le ramenant au niveau le plus bas de son histoire. 

Quelques jours plus tard, le gouvernement, puis la Banque d’Angleterre, dévoilent une deuxième salve de mesures. Le 17 mars, le Trésor met en place un programme de soutien d'urgence de l’économie de 350 milliards de livres sterling, dont 330 milliards de garanties de prêts à hauteur de 80 % (récemment élevé à 100 % pour les prêts de moins de 50 000 livres). La Banque d'Angleterre suit à son tour en réduisant son taux d'intérêt directeur de 0,25 % à 0,1 %, en augmentant son programme d'achats d'obligations à 200 milliards de livres sterling et en doublant son programme d’achats obligations d'entreprises à 20 milliards de livres sterling. 

Au total, le Trésor britannique a mobilisé plus de 450 milliards de livres sterling, soit environ 21 % de son produit intérieur brut de 2019.

Outre les sommes d’argent consacrées aux garanties de prêts, le gouvernement permet 30 milliards de livres sterling en reports de TVA et s’engage à couvrir 80 % des salaires des employés congédiés pendant la crise, dans la limite de 2 500 livres sterling par mois. Mis en place le 20 mars pour les salariés, le dispositif est étendu aux travailleurs indépendants le 26 mars. Le 12 mai, 7,5 millions de personnes étaient couvertes par le dispositif pour un total de 10 milliards de livres sterling. À partir du mois d’août, le dispositif sera étendu afin de couvrir également le chômage partiel et ainsi d’accompagner jusqu’à fin octobre un retour progressif vers l’emploi. 

À cela s’ajoute des mesures économiques plus ciblées, par exemple pour le secteur caritatif qui est protégé à hauteur de 750 millions de livres et les entreprises innovantes qui bénéficient d’un programme de 1,25 milliard de livres sterling. 

Le 24 avril, l'agence de notation Standard & Poor's confirmait l'efficacité de la réponse économique du Royaume-Uni en laissant sa note de crédit, AA, inchangée.

Des efforts de préparation qui n’ont pas été à la hauteur

Conscient qu’après une décennie d’économies résultant en un nombre de lits de soins intensifs par 100 000 habitants particulièrement bas - 6,6 comparé aux 11,6 en France et 33,4 en Allemagne - la NHS a rapidement su augmenter sa capacité d’accueil, répondant au quatrième axe de la stratégie initiale du gouvernement. 

Au total, 33 000 lits ont été libérés, soit le tiers du nombre de lits du système de santé britannique et l'équivalent de 50 hôpitaux, dont 10 000 lits de soins intensifs. À cela s’ajoutent 8 000 lits supplémentaires mis à sa disposition par le secteur indépendant. 

Le premier jour de son confinement national, le 24 mars, le Royaume-Uni poursuit cet effort et lance le développement d’hôpitaux temporaires. Le premier, le "NHS Nightingale" au centre d'exposition ExCeL de Londres, ouvre ses portes le 3 avril avec 500 lits supplémentaires et une capacité potentielle de 4 000. Au total, sept hôpitaux temporaires "Nightingale" suivent ailleurs dans le pays. Fin avril, alors que le nombre de décès au Royaume-Uni ralentissait, ceux-ci n’avaient accueillis qu’une poignée de patients testés positifs au Covid-19 et la capacité de lits de la NHS était encore loin d’être saturée

Malgré cet effort considérable pour augmenter le nombre de lits, ce travail n’a pas été accompagné des initiatives nécessaires pour préparer le système de santé sur d’autres fronts critiques, notamment l’approvisionnement en équipement de protection individuelle (PPE), en ventilateurs et en tests.

Mi-avril le personnel soignant commence à reporter des manques critiques d’équipement et plus particulièrement de blouses. Alors que Public Health Englandconseille le personnel soignant de les réutiliser ou d’utiliser d'autres équipements en cas de manques, le gouvernement peine à sourcer le matériel nécessaire sur les marchés internationaux. Une livraison de 84 tonnes de PPE, dont 400 000 blouses, est notamment annoncée en provenance de Turquie. Censée arriver le 19 avril, cette livraison critique prend 3 jours de retard et n'atterrit qu’avec une partie de l'équipement prévu, avant qu’il ne soit finalement révélé que celui-ci est inutilisable

Aujourd’hui, le Royaume-Uni est parmi les derniers dans la course aux tests, avec au total 6.6 tests par 1 000 habitants au 25 avril contre 9.06 en France au 21 avril et 25.11 Allemagne au 19 avril. 

Concernant les ventilateurs, ce n’est que le 16 mars que le gouvernement lance son "Opération Dernier Souffle" ("Operation Last Gasp" en anglais), un appel aux industriels britanniques pour fournir 20 000 ventilateurs supplémentaires en deux semaines, en plus des 8 000 ventilateurs dont disposait la NHS. Les critiques sur le manque de préparation du gouvernement en matière de PPE et de ventilateurs atteint son apogée lorsqu’il est révélé que le Royaume-Uni ne fera pas partie d’une commande groupée de l'Union européenne d’équipements, de ventilateurs et de tests, à laquelle le pays avait été invité à participer. Bien que les craintes concernant le nombre de ventilateurs sont apaisées au cours des prochaines semaines, les difficultés d'approvisionnement de PPE perdurent. 

Concernant les tests et le traçage, le Royaume-Uni avait entamé la bataille en avance par rapport à d’autres pays, avec un système permettant à Public Health England de tracer les contacts des premières victimes du virus et ainsi tenter de le contenir, soit le premier axe de la stratégie du gouvernement. Au cours du mois de février et du début du mois de mars, près de 4 000 personnes à risque d'infection ont été alertées sur la base d'environ 590 cas positifs. 

Malgré l’utilité du dispositif, la capacité de tests, restreinte à huit laboratoires Public Health England, n’a pas été augmentée et a rapidement été dépassée. Face à cela, le 12 mars, le gouvernement a modifié son approche aux tests avec la décision d’abandonner une stratégie de traçage de l’ensemble de patients symptomatiques et de restreindre l’utilisation de tests aux hôpitaux

Ce changement d’approche marque la transition vers le deuxième axe de la stratégie du gouvernement : retarder la propagation du virus au sein de la population en écrasant la fameuse courbe, sans toutefois tenter de l’arrêter. 

Ce n’est que le 2 avril, alors que la capacité de tests est de 10 000 par jour, que le gouvernement révise son approche afin de replacer les tests au cœur de sa stratégie. Le plan proposé a pour objectif d’élargir le nombre de centres de tests au-delà des huit laboratoires PHE au secteur privé et aux universités, de rajouter des tests sérologiques aux côtés des tests existants et d’assurer une capacité de 100 000 tests par jour avant le mois de mai. Le Royaume-Uni passe ainsi de 2.4 tests par 1 000 habitants le 2 avril à 44.4 le 2 juin, contre 47.2 en Allemagne au 24 mai (dernières données disponibles). Fin mai la capacité de tests par jour dépassait les 160 000.

Cette montée en puissance de la capacité de tests permet à la NHS de lancer, le 27 mai, un nouveau service de test et de traçage, permettant à toute personne symptomatique de se faire tester afin ensuite de prévenir les personnes qu’elle aurait fréquentées récemment. C’est à cette fin que le gouvernement développe une application de traçage bluetooth, dont le déploiement national est prévu dans le courant du mois de juin, et vise à recruter 18 000 personnes pour répliquer à grande échelle les efforts de l’équipe de 290 personnes en charge du traçage chez Public Health England. 

Vers un déconfinement prudent et progressif

Dès le mois d’avril, après que les trois premières semaines de confinement aient été renouvelées, le gouvernement précise cinq critères qui devront être satisfaits avant qu’un déconfinement ne soit envisagé : 

  1. S’assurer que la NHS dispose de capacités suffisantes en matière de soins intensifs et de traitement spécialisé 
  2. Enregistrer une "baisse soutenue et constante" des taux de mortalité quotidiens 
  3. Observer une baisse des taux d'infection à des "niveaux gérables", soit bien en dessous de 1 
  4. Disposer d'un nombre suffisant de tests et d’EPP pour "répondre à la demande" 
  5. Être certain que l'assouplissement des restrictions ne risquera pas de provoquer un deuxième pic d'infection qui dépasserait les capacités du système de santé

Lorsque le Premier ministre britannique esquisse son plan de déconfinement le 10 mai, le calendrier est présenté sur la base d’un système d'alerte allant de 1 à 5, défini par ces mêmes critères, en particulier celui du taux d’infection, et opéré par un nouveau Centre commun de biosécurité. Mi-mai, le pays bascule du niveau quatre au niveau trois et les personnes ne pouvant pas exercer leur métier depuis chez eux sont ainsi encouragés à retourner sur leur lieu de travail. À partir du 1er juin, les rassemblements sont tolérés jusqu’à six personnes, les déplacements sont autorisés partout dans le pays, certains commerces et certaines écoles ouvrent leurs portes. À compter du 15 juin, l’ensemble des commerces non-essentiels ainsi que la grande majorité des écoles pourront à nouveau accueillir leurs clients et leurs élèves. À condition que le taux d’infection et le nombre de cas recensés le permettent, le pays pourrait également bénéficier de l’ouverture de certains lieux publics et la reprise d’une partie de son secteur touristique à partir du 3 juillet au plus tôt.

Conclusion

Si le Royaume-Uni semblait être en bonne position pour faire face à une épidémie nationale lorsque le premier cas a été détecté fin janvier, le retard pris par le gouvernement au cours du mois de février et du début du mois de mars à assurer le matériel nécessaire, que ce soit en équipements, en ventilateurs ou en tests, ainsi qu’à mettre en place des mesures restrictives pour limiter la propagation du virus, ont laissé le pays en mauvais état pour maîtriser l’accélération du nombre de décès. 

Après une première expérience difficile du "laissez-faire" qui place aujourd’hui le pays parmi les plus touchés par le virus, tous les indicateurs semblent désormais progresser dans la bonne direction et le pays se dirige prudemment mais promptement vers son déconfinement. Cependant, alors que le gouvernement rattrape son retard de préparation, c’est à présent la confiance des britanniques qui fait défaut. Maintenant un soutien sans faille au conseiller Dominic Cummings après qu’il ait violé les mesures de confinement, le gouvernement Johnson ajoute un risque de crise politique aux côtés des risques économiques, sanitaires et sociaux déjà présents. 

Copyright: ISABEL INFANTES / AFP

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