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03/10/2018

Les entreprises à l’épreuve du Brexit. Trois Questions à Pierre Sellal

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Les entreprises à l’épreuve du Brexit. Trois Questions à Pierre Sellal
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Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni sortira officiellement de l’Union européenne. A moins de six mois de l’échéance, Londres et Bruxelles peinent toujours à conclure les termes de leur divorce. A quoi les entreprises britanniques et européennes doivent-elles s’attendre ? Comment s’y préparent-elles ?

Pierre Sellal, ancien représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, président de la Fondation de France et senior counsel August Debouzy, nous livre son analyse sur le sujet.

Comment les entreprises se préparent-elles à la sortie programmée du Royaume-Uni de l'Union européenne ?

Le degré de préparation des entreprises à cette perspective est extrêmement inégal, selon les secteurs, la part de leurs activités concernée par les échanges entre le Royaume-Uni et les autres Etats membres de l’Union, le degré d’intégration des processus de production quand ils impliquent des composants britanniques. Ceci vaut aussi bien pour les entreprises installées au Royaume-Uni que pour celles établies sur le continent. Beaucoup ont considéré que cette sortie ne se produirait pas, ou que des arrangements politiques permettraient d’imposer un statu quo pour tout ce qui concerne les échanges commerciaux, les formalités douanières, ou l’accès continu au marché intérieur.

Cette attitude de déni n’est plus de mise à moins de six mois, désormais, de l’échéance du 29 mars 2019. La Commission européenne était fondée à rappeler en juillet dernier à toutes les parties prenantes, à commencer par les entreprises, qu’il leur appartenait de se préparer à toutes les situations susceptibles de se présenter à cette date, y compris l’hypothèse d’une sortie sans accord, qui signifierait que le Royaume-Uni, cessant d’être un Etat membre, deviendrait pleinement, du jour au lendemain, un "pays tiers" vis-à-vis de l’Union européenne. Il incombe à chaque entreprise d’analyser rigoureusement l’impact juridique, économique, financier de cette mutation pour ses activités et ses projets. 

Rappelons aussi que si, comme il faut le souhaiter, un accord de retrait finit par être conclu et adopté, les entreprises disposeront d’un délai supplémentaire d’adaptation à ce changement, jusqu’en janvier 2021.

Quels sont les principaux risques que vous identifiez pour le développement des entreprises britanniques comme européennes ?

La force du marché intérieur, ce sont des échanges fluides et sans entraves au sein d’un espace soumis aux mêmes règles, fort de millions de consommateurs. Son amputation sera dommageable à toutes les entreprises qui bénéficiaient de sa taille, mais c’est pour l’économie britannique, plus dépendante du commerce avec l’UE à 27 que ne l’est celle-ci vis-à-vis du Royaume-Uni, que le coût sera le plus important. Le Royaume-Uni ne fera plus partie du marché intérieur (ni de l’Union douanière, si le gouvernement britannique confirme sa volonté en ce sens) ; il pourra continuer à y avoir accès, dans des conditions encore non définies, mais qui impliqueront un certain degré de procédures et de contrôles. C’est l’apparition de ces "frictions", inhérentes aux échanges entre l’UE et un pays tiers, qui risque de freiner coopérations et partenariats entre les entreprises des deux côtés de la Manche, ou de remettre en cause des projets d’investissement ou d’implantation au Royaume-Uni, tant le libre accès au marché intérieur est souvent une condition fondamentale d’un choix de développement.

En outre, certaines entreprises au Royaume-Uni s’inquiètent de l’impact des restrictions envisagées par le gouvernement britannique sur la libre circulation des personnes sur leur politique de recrutement et leur capacité à attirer les talents.

Pour les entreprises du continent, l’ajustement requis, s’il implique par exemple de nouveaux modèles de production, pourrait prendre du temps et se traduira en coûts d’adaptation. Elles seront également attentives au level playing field établi par la nouvelle relation établie entre le Royaume-Uni et l’UE : moins les règles applicables – et pas seulement celles qui concernent directement les échanges – resteront alignées, plus les risques de distorsion de concurrence seront élevés et moins pourra être fluide l’accès des entreprises britanniques au marché intérieur.

A l'inverse, le Royaume-Uni pourrait-il être un facteur d'opportunité pour les firmes britanniques, comme le souhaitent les défenseurs du Brexit ?

Selon cette analyse, le Royaume-Uni bénéficierait d’un regain d’attractivité et de compétitivité en recouvrant sa capacité à conclure des accords commerciaux bilatéraux et en s’affranchissant des règles et disciplines européennes. C’est un pari très incertain. D’une part, il est vraisemblable que les grands partenaires commerciaux donneront toujours la priorité à leurs relations économiques avec l’UE plutôt qu’avec un pays tiers ne leur assurant plus un accès au marché intérieur européen. La fin de la participation à l’élaboration et à l’adoption des normes et régulations européennes sera également un facteur négatif pour l’influence et l’attractivité du Royaume-Uni.

D’autre part, la recherche d’une plus grande compétitivité par la dérégulation et le relâchement des normes en matière environnementale, sociale, fiscale, financière de concurrence serait une voie très incertaine, aussi bien quant au soutien politique domestique qu’une telle stratégie pourrait recevoir que pour l’image et la réputation du Royaume-Uni. Surtout, toute manifestation de dumping réglementaire entraînerait des limitations supplémentaires dans l’accès au marché européen.

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