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26/02/2020

Les élections municipales françaises vues d’ailleurs

Regards croisés entre Sophie Pedder et Michaela Wiegel

Les élections municipales françaises vues d’ailleurs
 Sophie Pedder
Chef de Bureau à Paris, The Economist
 Michaela Wiegel
Correspondante à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung

Les élections municipales des 15 et 22 mars approchent à grands pas. Le sujet occupe une place importante dans l’actualité française, mais comment est-il vu à l’étranger ? Nous avons demandé à deux journalistes, l’une anglaise et l’autre allemande, de nous éclairer. Entretien avec Sophie Pedder, chef de Bureau à Paris pour The Economist, et Michaela Wiegel, correspondante à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Quel regard les Allemands et les Anglais portent-ils sur les élections en France et notamment les municipales à venir ?

Michaela Wiegel

Les Allemands vont regarder de près le score atteint par le Rassemblement National, car en ce moment l’Allemagne fait face à un dilemme en Thuringe, où l’extrême droite (Alternative für Deutschland, AfD) est très forte, et détient la possibilité d'empêcher la formation d’un gouvernement à l’est de l’Allemagne.

Dans ce contexte, le public allemand observe les élections municipales en France avec attention et tente de comprendre les efforts déployés pour que le Rassemblement National n’ait pas le pouvoir d’influencer les décisions au sein des mairies. C’est l’un des aspects qui intéresse le plus les Allemands.


Sophie Pedder

Le phénomène de montée d’un parti d’extrême droite n’existe pas actuellement au Royaume-Uni, contrairement à la France et l’Allemagne. Néanmoins,pour les Britanniques, il est intéressant de voir comment les partis politiques français s’emparent du Brexit comme argument de campagne.

Si Marine Le Pen ne défend plus le Frexit, son parti prend toujours un certain plaisir à voir l’Union européenne perdre un État membre. Le Rassemblement National a salué le "retour à la liberté" du Royaume-Uni, cette dimension fait partie de leur campagne. D’autre part, certains observateurs au Royaume-Uni craignent qu’Emmanuel Macron soit susceptible d’adopter une position plus dure durant les négociations sur la relation future entre Londres et Bruxelles pour des raisons de politique interne.

Pour les Britanniques, il est intéressant de voir comment les partis politiques français s’emparent du Brexit comme argument de campagne.

Un autre élément qui intéresse les Britanniques est la mise à l’épreuve du centre dans un contexte de polarisation de la politique en Europe. Les élections législatives britanniques de l’an passé avaient déjà révélé la disparition du vote au centre. Si la France, à contre-courant par rapport au reste de l’Europe, a montré lors de l’élection présidentielle en 2017 que le centre était capable de remporter le vote, les élections municipales à venir sont une nouvelle épreuve. D’autre part, La République En Marche semble peiner à s’enraciner dans les territoires, ce qui amplifie encore l’enjeu de ces élections.

D'après vous, une recomposition du paysage politique se profile-t-elle derrière ces élections ?

Michaela Wiegel

Pour le public allemand, ces élections municipales ne sont pas un enjeu national. Il faut probablement rappeler qu’en Allemagne il n’y a pas, comme en France, des élections municipales qui ont lieu le même jour pour toutes les communes simultanément. Mais de toute façon, regarder ces élections d’un point de vue national donnerait une clé de lecture quelque peu étrange, car la majorité des électeurs en France se décident par rapport aux enjeux de leurs communes, et non par rapport aux enjeux nationaux.

Cela dit, les Allemands demeurent attentifs aux rapports de force entre les différents partis politiques français, tout en sachant que le parti du gouvernement part avec un inconvénient, car quasiment aucun maire sortant n’est affilié à La République En Marche. Ainsi, une évaluation objective du rapport de force demeure difficile, car le parti présidentiel est le nouveau venu dans le paysage politique, ce qui bouscule l’ordre établi.

L’Allemagne va suivre de près la place des différents partis politiques français, et observer où se situe le Rassemblement National, où se situent les candidats de La République En Marche. En revanche, ce ne sera pas lu comme une élection d’ampleur nationale.


Sophie Pedder

Pour les Britanniques comme pour les Allemands, les élections municipales françaises sont très différentes de leur propre système politique. Le rôle du maire en France est particulier : c’est l’élu le plus respecté, et l’on dénombre 35 000 communes. Les Britanniques ne connaissent pas bien ce système, car en Angleterre, seuls 24 maires sont élus directement, et pour la plupart dans les grandes villes comme Londres ou Manchester. Ils n’ont donc pas du tout le même rapport à la mairie. C’est la raison pour laquelle le public britannique peine à comprendre ces élections municipales, qui ne sont d’ailleurs pas un scrutin d’enjeu national.

S’il est encore tôt pour tirer des conclusions nationales, ces élections demeurent, comme toutes les élections de mi-mandat, l’occasion d’un vote de sanction à l’égard du parti de la majorité et du Président Emmanuel Macron.

De l'échelle locale au niveau européen, quelle sera l'importance des enjeux environnementaux pour ce scrutin et les prochains ?

Michaela Wiegel

Effectivement, c’est le troisième aspect qui présente un parallèle avec la situation actuelle en Allemagne : les Verts dans les sondages sont historiquement forts en Allemagne aujourd’hui, et désormais il est même possible d’imaginer un chancelier ou une chancelière verte, ce qui était une perspective encore inimaginable il y a quelques années.

Le rapport de force politique en Allemagne a beaucoup évolué dernièrement à la faveur de l’écologie. Il est donc pertinent pour les Allemands d’observer la situation en France, car il y a un effort des candidats verts dans de nombreuses villes : Grenoble est suivie de près, mais aussi Montpellier et Bordeaux où l’on observe un regain de popularité pour les Verts.

Rappelons néanmoins qu’il y a une grande différence entre les candidats écologistes allemands et français en termes de parti politique. Ainsi, les Allemands seront particulièrement attentifs si, au niveau communal, les Verts français deviennent un peu plus comme les Verts allemands, c’est-à-dire réalistes par rapport aux fondamentalistes qui, jusqu'à maintenant, avaient le pouvoir au sein du parti Europe Ecologie - Les Verts en France.

Il y a un effort des candidats verts dans de nombreuses villes : Grenoble est suivie de près [par les allemands], mais aussi Montpellier et Bordeaux.

Sophie Pedder

Le score atteint par les Verts lors de ces élections sera également suivi de près par les Britanniques. Si, au Royaume-Uni, les candidats écologistes n’ont pas gagné en importance lors des élections législatives, on observe néanmoins une tendance de regain de popularité des partis écologistes en Europe.

L’écologie sera un enjeu majeur lors de ces élections, et un sujet structurant pour tous les partis politiques, pas seulement ceux issus de la gauche. Le Rassemblement National s’est notamment emparé de ce sujet à travers le concept de "localisme" : le parti a pris un certain virage écologique, ou du moins a tenté de le faire, malgré quelques contradictions au sein de leurs programmes. D’autre part, le président de la République essaie également de mettre en avant sa politique verte, comme l’a montré sa visite à la mer de Glace ou la fermeture de Fessenheim. Pour lui, l’enjeu sera avant tout de faire preuve de sincérité, car il s’est saisi du sujet tardivement et doit démontrer l’authenticité de cette politique.

 

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Copyright : SEBASTIEN BOZON / AFP

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