Le DF-41 (avec sa portée et ses ogives multiples), le DF-17 (avec sa portée moyenne et son planeur hypersonique précisément pensé pour déjouer la défense antimissile) et le JL-2 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, également présenté pour la première fois lors de ce défilé (notons que l’on dit que le JL-3 est déjà en cours de développement) sont autant de signaux révélant la détermination de la Chine à maintenir une capacité de riposte garantie. Mais tout ce dispositif donne aussi à voir les inévitables doutes que peut avoir Pékin quant à l'avenir de l'équilibre entre l’offensive et défensive dans le domaine nucléaire.
L'infériorité structurelle actuelle de la Chine limite l’éventail des options dont elle dispose dans les zones de tension de l’Asie de l'Est - à Taïwan ou en mer de Chine méridionale. L’approche offensive des questions sous Xi Jinping, l'intimidation qu’elle fait subir à Taïwan sont des stratégies qu’elle conduit néanmoins dans une situation de vulnérabilité par rapport aux Etats-Unis, une infériorité qui s'étend au domaine conventionnel. Cela soulève la question suivante : comment la Chine se comporterait-elle si elle agissait en position de parité ou de supériorité stratégique vis-à-vis des Etats-Unis ?
La Chine peut-elle renverser à son avantage cet équilibre militaire qui lui est aujourd’hui défavorable ? Cela dépend beaucoup de la capacité de l'industrie de l'armement chinoise à réaliser une "innovation de rupture" (颠覆性创新). Le Quotidien de l'Armée Populaire de Libération (People’s Liberation Army Daily) définit comme disruptives "les technologies qui peuvent modifier fondamentalement et rapidement l'équilibre de la puissance militaire, de telle sorte que l'adversaire perd sa capacité de combat, ce qui crée ainsi un avantage opérationnel non conventionnel ou asymétrique". Cités dans un autre article de ce journal, des experts militaires de l'Université de la Défense nationale (National Defense University) valorisent particulièrement "la robotique, les nouveaux matériaux, les armes hypersoniques, les armes à énergie dirigée, le domaine quantique et les percées de la biologie synthétique", mais aussi les applications possibles de l’intelligence artificielle et du deep learning en matière de reconnaissance et de lecture des théâtres d’opérations, notamment par le biais du recours aux drones.
Cet arsenal militaire ainsi salué par les dirigeants chinois sur la place Tian’anmen ne reflète que partiellement cette quête de la disruption. La compétition sino-américaine se joue sur le terrain de la recherche fondamentale. Certains drones ont été présentés, mais de nombreuses questions sur leurs véritables capacités. Prenons par exemple le drone de reconnaissance supersonique DR-8, dévoilé pour la première fois lors de la parade ; il a pour objectif la pénétration des systèmes de défense aérienne afin de collecter des informations, d’aider au ciblage des missiles ou d'évaluer les éventuels dommages. Certes, le DR-8 pourrait venir en soutien des frappes perpétrées contre les porte-avions ennemis dans le cadre de la stratégie chinoise du déni d’accès, mais l'utilisation de drones dans le cadre de la reconnaissance tactique n'est pas révolutionnaire : dans les années 1960, Lockheed développait déjà un drone de reconnaissance supersonique... Le niveau technologique du drone chinois dépend de ses capacités réelles en termes d'évasion de détection, d'acquisition d'objectifs, de communication et d'intégration aux moyens de renseignement spatial au niveau du commandement et du contrôle. Le système Sharp Sword a également attiré l'attention en tant que drone de combat furtif, lancé à partir de porte-avions. Son développement soulève des questions tactiques sur la façon dont la Chine planifie les futures opérations de ses porte-avions. Les drones armés peuvent-ils remplacer les avions de combat polyvalents ? Jusqu'à présent, la Marine chinoise demeure à un stade précoce de la conception de ses futurs groupes aéronavals, même si des progrès impressionnants sont à noter depuis l'acquisition du Varyag ukrainien.
Cette obsession chinoise pour la disruption stratégique soulève un problème de transparence auquel le défilé militaire n’apporte pas de réponse. Combien la Chine dépense-t-elle réellement en matière de recherche et développement pour son armé ? En 2019, son budget militaire annoncé s'élève à 175 milliards de dollars et l’on sait qu’en 2018, le pays a officiellement dépensé 293 milliards de dollars en recherche et développement. Mais le budget défense de la Chine n'inclut pas les dépenses de R&D, ce qui implique, pour les commentateurs, de s’atteler à un exercice ardu d’estimation.
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