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02/11/2022

Les dangers d'une Chine 100 % Xi Jinping

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Les dangers d'une Chine 100 % Xi Jinping
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Tout a été dit ces derniers jours sur le XXème Congrès du PCC, antithèse parfaite du XXème Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS) qui vit Nikita Khrouchtchev prononcer son célèbre discours "secret" contre Staline et le culte de la personnalité. L'auteur de ces lignes avait précédemment douté d’une influence quelconque de factions s’opposant à Xi Jinping, à l'exception possible de divergences de ligne économique sur le rythme et les directions d'un effort de relance de l'économie par le crédit et la politique monétaire. La seule interrogation que posait le Congrès, c'était le dosage entre affiliés notoires et exclusifs de Xi Jinping et dirigeants pourvus d'une expérience technocratique plus large. 

Le Congrès et Xi Jinping lui-même ont répondu à cette interrogation - en même temps qu'ils faisaient tomber d'un seul coup ceux qu'on pourrait qualifier de "faction économiste". Des sept membres sortants du Comité permanent du Bureau politique, quatre ne reviennent pas : Li Keqiang, Premier ministre et engagé, quoiqu'avec retenue, au printemps 2022 dans un débat économique sur la relance ; Wang Yang, président du Conseil consultatif du PCC, aux origines réformatrices indéniables quoique très silencieux depuis une décennie ; Han Zheng, vice-Premier ministre, ancien secrétaire du Parti de Shanghai et dernier membre de l'ex-faction Jiang Zemin ; et Li Zhanshu, président de l'Assemblée nationale populaire et allié de Xi. Les deux premiers cités n’avaient pas atteint l’âge de 68 ans, et il s'agit donc bien d'une élimination politique. Derrière eux, plusieurs dirigeants économiques ne sont pas reconduits au Comité central : Liu He, aux vues économiques naguère plus libérales et préposé au dialogue avec les États-Unis ; Guo Shuqing, président de la Commission de régulation bancaire, et Yi Gang, gouverneur de la Banque centrale. Les deux derniers n’avaient pas atteint la limite d'âge. Au Bureau politique, le "jeune" Hu Chunhua (59 ans), patron du Guangdong et réputé proche de Hu Jintao, est également évincé. 

Des sept membres sortants du Comité permanent du Bureau politique, quatre ne reviennent pas.

C'est évidemment par contraste que deux nouveaux venus au Comité permanent ont prouvé récemment leur loyauté à Xi : Li Qiang, désormais numéro 2 dans l'ordre protocolaire du Parti, premier secrétaire de Shanghai qui a appliqué sans faiblesse la politique du "zéro Covid" dans une agglomération assez réticente au printemps dernier ; Cai Qi, premier secrétaire de Pékin et ex-collaborateur de Xi au Fujian et au Zhejiang qui aura reçu quatre promotions en quatre ans ; Ding Xuexiang, directeur du Bureau général du Comité central et ex-secrétaire particulier de Xi, et Li Xi, nouveau patron de la redoutée Commission centrale de Contrôle de la Discipline.

Il y succède à Zhao Leji, proche allié de Xi qui reste au Comité permanent, ainsi que Wang Huning : ce dernier, ex-académique, a tenu un rôle d'inspirateur doctrinal auprès de Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi, et peut être considéré comme le Souslov chinois par sa longévité et son primat sur l'idéologie. Il est désormais à la tête du Département du Front uni, un organe essentiel pour l'action internationale de la République populaire.

On pourrait continuer à l'infini, notamment à propos de l'âge élevé des membres du Comité permanent : visiblement, Xi mise sur la loyauté mais pas sur les jeunes, à l’inverse de certains de ses discours. Ce choix implique déjà de retarder l'émergence de tout successeur possible, au-delà bien sûr de son troisième mandat. Ou bien sûr à propos de l’éviction de Hu Jintao, le prédécesseur de Xi, de la tribune du Congrès devant les caméras du monde entier. Pour la première fois depuis l’ère maoïste, il n'y a pas de faction discernable autre que le cercle constitué par Xi Jinping. Et les orientations données par celui-ci vont à la fois vers un nouveau durcissement politique et une primauté plus affichée d'une économie commandée depuis le centre du PCC, accompagnée d'un mouvement vers le socialisme. La "lutte contre la pauvreté" n'est plus dans la Constitution du Parti, la "prospérité commune" y entre. La "modernisation socialiste" succède à "l'aisance moyenne" dans la bouche de Xi Jinping. Le contrôle, la lutte contre la corruption, l'obligation d'étudier l'histoire du PCC, la loyauté au Parti et à Xi et leurs instruments sont les aspects les plus mis en avant, avec le marxisme et, faut-il ajouter, la référence à la "culture chinoise" : ce dernier registre demeure, alors que disparaissent presque les mentions de la réforme et de l’ouverture. La place accrue au sein du Bureau politique, relevée par les observateurs, de dirigeants issus de la Sécurité publique et de la Sécurité d'État est évocatrice des perspectives sombres que trace Xi Jinping dans le domaine international : c'est clairement celle de conflits à venir, même si les documents du Congrès n'abordent pratiquement jamais la politique étrangère. Mais l'affirmation appuyée par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi d’un soutien à la Russie laisse peu de place à l'équivoque.

De ce sombre tableau, les observateurs déduisent un peu vite un déclin économique de la Chine, et peut-être se rassurent ainsi sur l'avenir. Certes, la conjoncture intérieure n'est pas bonne en termes chinois (même si bien d'autres envieraient ce qui reste de la croissance rapide). Les choix de Xi contre bien des économistes et des groupes d'influence locaux ont leur prix : un soutien mitigé à l'immobilier en berne, le maintien d’une politique "dynamique" de zéro Covid (sans laquelle, il faut le rappeler, la Chine aurait sans doute eu entre 1 et 2 millions de décès en 2022), un desserrement limité du crédit et vers la production plutôt que vers la consommation ou la redistribution (à l'inverse de tout l'Occident), les ailes soudain rognées des géants chinois de l'économie de plateforme (Alibaba et Tencent ont vu leur valeur en bourse s'effondrer), un cours du yuan peu soutenu (alors même que la Russie utilise massivement la devise chinoise pour contourner les sanctions occidentales sur son propre système bancaire) : tout cela, optiquement, indique un ralentissement du trend de croissance.

L'économie à la Xi Jinping dégaine trois atouts face à cela : l'investissement dans les infrastructures, au multiplicateur assez limité pour le PIB et l'emploi, mais qui inclut des efforts vers les énergies renouvelables sans équivalent dans le reste du monde ; le second atout résulte en partie du premier : c'est l'explosion des ventes et des exportations automobiles chinoises, emmenées par l’industrie des batteries et à des prix susceptibles de laminer ce qui reste le deuxième secteur industriel des économies développées.

Les observateurs déduisent un peu vite un déclin économique de la Chine, et peut-être se rassurent ainsi sur l'avenir. 

Et plus généralement, la poursuite de la montée des exportations chinoises. Quand les observateurs se rassurent parce que la tendance en glissement annuel est passée de 12 à 11 % en septembre 2022, et espèrent qu'une récession occidentale accentuera ce ralentissement, il y a en vérité lieu de s'inquiéter. Huawei, décrété "mort" en raison des sanctions américaines, reste de loin le leader mondial des équipements de télécommunications. La seule économie développée vers laquelle la courbe des exportations chinoises s'est aplatie est celle des États-Unis - nonobstant toutes les critiques des économistes libéraux contre les surtaxes douanières. Après bien des années, l'Allemagne connaît à nouveau un déficit commercial avec la Chine.

Certes, une politique de découplage offensif peut mettre en péril ce pilier de la croissance chinoise. Publiquement, de grandes entreprises japonaises (Honda, Daikin, …),les plus engagées sur le "fabriquer en Chine", élaborent des plans destinés à s’affranchir de toute dépendance chinoise, tout en y localisant la production destinée au marché chinois lui-même. Apple transfère en Inde une partie de sa production d'iPhones, et il n'est que de lire Jörge Wuttke, le dynamique président de la Chambre de commerce de l'Union européenne en Chine et par ailleurs responsable du plus grand investissement étranger jamais fait en Chine (BASF), pour comprendre que désormais, c’est Xi Jinping qui fait la loi, et que la plus grande prudence est de mise. L'IPEF de l'administration Biden, ses restrictions drastiques sur l'exportation des technologies de semi-conducteurs, les subventions aux énergies renouvelables, le Chips Act européen sont autant de signes d’une prise de conscience. Ses effets ne seront pas à court terme. 

Il se peut aussi qu'une partie des élites chinoises "votent avec leurs pieds", comme c'est le cas en Russie.

Il se peut aussi qu'une partie des élites chinoises "votent avec leurs pieds", comme c'est le cas en Russie. C’est le cas des états-majors des plus grandes plateformes informatiques, dont les arrières étaient préparés, et de spécialistes de l'intelligence artificielle : mais l'interruption de beaucoup d'échanges humains, en particulier éducatifs, va aussi dans le sens d'un renforcement de l'autosuffisance chinoise. 

Les universités de Pékin, Tsinghua, l'Académie des Sciences continuent de progresser vers la tête des classements internationaux. Ce n'est qu'à terme que les mesures restrictives aux transferts de technologies et de compétences scientifiques prises par les États-Unis et le Japon produiront des effets importants : le choix fait dans ce domaine par l'Europe reste à voir.

Enfin, quoiqu'il soit facile de se gausser du culte de la personnalité, de la flagornerie et de la médiocrité de certains promus, il existe aussi des technocrates compétents qui ont fait "le bon choix" politique. C'est le cas avant tout de Li Qiang, probable futur Premier ministre. Pour avoir bravé l'impopularité à Shanghai en y imposant le zéro Covid, il a un pedigree de gestionnaire ouvert sur les entreprises étrangères, et a notamment attiré Tesla : un alliage qui fut exactement celui de Xi Jinping dans les mêmes fonctions. Plusieurs promotions provinciales moins en évidence montrent le même profil : Chen Jining, maire de Pékin et ancien président de l'université Tsinghua, devient premier secrétaire de Shanghai ; c'est un spécialiste compétent de l'environnement. À la mairie de Pékin, c'est un gouverneur-adjoint de la Banque centrale qui le remplace. À l'évidence aussi, l'appareil du Parti sera chargé de démontrer que peu de choses changent vis-à-vis des entreprises chinoises : l'intervention de Xi Jinping au Congrès était peu loquace sur ce sujet, mais l'organe du Parti Global Times prend la peine de répondre avec une certaine prudence à Jörge Wuttke, en reconnaissant "des désaccords avec l'UE sur l'ouverture, les investissements et d’autres domaines de coopération", mais en évoquant le record des investissements étrangers en Chine depuis janvier 2022 (+18,9 % en glissement annuel sur les neuf premiers mois).

Les deux grandes zones d'incertitude dans les rapports de la Chine avec les démocraties occidentales sont ainsi délimitées. L'une est militaire. La sélection de dirigeants faite par Xi est sans ambages celle d'un véritable cabinet de guerre, discipliné, axé sur la sécurité avant la croissance, doté d’une idéologie anti-occidentale avec le renforcement affiché de la modernisation militaire. Au lendemain du 20ème Congrès, Xi emmène ses collègues dans les anciennes bases révolutionnaires du Shanxi. Il y rappelle que "le socialisme est arrivé par la lutte, par l'action et par le sacrifice de vies humaines. Ce n'était pas seulement vrai dans le passé, cela le reste aujourd'hui". La rupture complète avec la direction collective de l'ère Deng Xiaoping et le troisième mandat de Xi sont justifiés par les promesses de réunification de Taiwan avec la République populaire. Sur ce point, il est vital que l'Europe et les États-Unis fassent preuve d'unité et de discipline dans leurs rapports avec la Chine. L'ère des illusions devrait être révolue pour tous.

L'autre zone concerne le découplage et la dépendance économique à l'égard de la Chine. Il est absurde de pronostiquer un "zéro Chine" à court ou moyen terme, et pourtant la diversification des risques et la contre-offensive dans les domaines de priorité de la Chine sont des urgences absolues. Qu'il subsiste des gains importants pour certaines entreprises sur le marché chinois est un fait, mais leur vulnérabilité est un autre fait. Sur le plan financier, la montée globale des taux d'intérêt diminue l'attrait du marché chinois. Il peut être utile de relever que l'indice MSCI Chine est aujourd'hui revenu à son niveau initial… en 2007. L'économie du Parti-État chinois a besoin d’excédents de la balance des comptes pour se prémunir d'alertes politiques ou géopolitiques, mais son moteur essentiel reste le détournement d'une grande partie de l'épargne vers l'investissement dirigé. C'était vrai avant Xi Jinping, cela reste vrai aujourd’hui, même si le rendement sur investissement est bien moins assuré après des décennies de croissance. 


 

Copyright : Noel CELIS / AFP

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