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20/09/2018

Les axes clés du plan santé 2022

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Les axes clés du plan santé 2022
 Daniel Szeftel
Auteur
Co-fondateur de SÊMEIA

Mardi 18 septembre, la présentation de la stratégie gouvernementale de transformation du système de santé a fait l’objet d’un dispositif communicationnel inédit : le matin, un discours de près d’une heure du président de la République Emmanuel Macron présentant les axes forts de cette stratégie sous le slogan "prendre soin de chacun". L’après-midi, la déclinaison de cette stratégie par la ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn et la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal au travers de laprésentation d’une feuille de route opérationnelle appelée "Ma Santé 2022". A noter, la publication dans le même temps de six rapports thématiques, boîtes à idées qui ont permis d’alimenter la feuille de route sur : 

  • La formation des professionnels de santé 
  • Les conditions d’exercice des soignants 
  • L’organisation territoriale des soins 
  • La qualité de soins 
  • Le virage numérique 
  • La refonte des modes de financement et de régulation des professionnels de santé et établissements de soins 

Cette impressionnante production de contenu pour réformer le système de santé français rend le dispositif d’ensemble difficile à appréhender, dans la mesure où les pistes finalement retenues dans la feuille de route sont toutes aussi importantes pour l’analyse que celles qui ont été momentanément ou définitivement écartées. Il est néanmoins possible de dégager les grandes lignes de force des 54 mesures proposées par le gouvernement. 

Le premier tabou que brise le gouvernement est celui du recours au salariat au sein de la médecine de ville, aujourd’hui massivement organisée selon le modèle des professions libérales. Ainsi, 400 médecins salariés seront recrutés par les hôpitaux locaux dès 2019 afin de lutter contre la pénurie médicale dans les déserts médicaux. De même, 4 000 assistants médicaux, nouveau métier intermédiaire entre celui d'aide-soignant et celui de secrétaire médicale, seront financés et recrutés par les maisons de santé et les cabinets de groupe afin de libérer davantage de temps médical. Si l’outil du salariat n’est pas à négliger pour améliorer l’accès aux soins de premier recours, il est sans doute dommage que cette mesure fasse passer au second plan l’utilisation des transferts de compétence des médecins vers les infirmières et les pharmaciens d’officine, qui maillent le territoire de manière appropriée et pourraient pallier dans un certain nombre de cas la pénurie de médecins.   

Le deuxième choix fort du plan "Ma Santé 2022" est celui de la suppression de certaines rigidités et de certaines rentes dans le système de santé français. C’est ainsi que face à l’urgence sanitaire croissante que représentent les déserts médicaux, face au vieillissement de la population, le gouvernement met fin au numerus clausus à l’entrée en deuxième année de médecine ainsi qu’aux concours d’entrée dans les écoles d’infirmière, ce qui pourrait conduire à former davantage de soignants dans les années à venir. De même, le gouvernement annonce un assouplissement supplémentaire des autorisations d’activité pour les établissements de santé, notamment pour les hôpitaux de proximité, ce qui devrait conduire à un maintien facilité en activité de petites structures hospitalières ne remplissant pas les niveaux d’exigence habituels.  

Ces mesures de libéralisation du système de soins ne conduisent pas à la réhabilitation de la logique concurrentielle au sein du système de santé. Au contraire, le gouvernement semble faire comme troisième choix d’ampleur, celui de la "coopétition", mot-valise entre compétition et coopération, qui désigne en réalité une nouvelle organisation territoriale des soins en quatre niveaux au sein de laquelle la concurrence entre professionnels de santé et établissements de soins est fortement amoindrie :  

  • Au premier niveau, les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) organiseraient la coopération et le regroupement entre professionnels de santé de ville, la permanence des soins et l’articulation avec l’hôpital ;
  • Au deuxième niveau, des hôpitaux de proximité spécialisés dans les soins gériatriques, le suivi des maladies chroniques et l'appui au premier niveau seraient développés et labellisés ;
  • Au troisième niveau, des établissements de recours seraient responsables des urgences et de la prise en charge spécialisée ;
  • Au quatrième niveau, les Centres hospitalo-universitaires (CHU) assureraient le rôle de centres de référence pour les maladies rares et les prises en charge complexes. 

Cette structuration en filière, la possibilité d’une intégration grandissante entre établissements et le souhait politique de voir les coopérations public/privé se renforcer amèneront à spécialiser davantage l’activité de chaque établissement, rendant de moins en moins probable la présence sur un même territoire de deux établissements en concurrence. Si l’on peut attendre d’une telle structuration le renforcement de la coordination entre acteurs, l’augmentation des capacités d’investissement des offreurs de soins dans l’innovation et des gains de productivité, il est à craindre qu’elle ne restreigne la capacité des patients à choisir l’établissement au sein duquel ils seront pris en charge. 

La recherche de l’amélioration de la qualité constitue pourtant le quatrième axe majeur de la feuille de route gouvernementale. L’approche est parfois classique, avec la mise en place de protocoles formalisés de prise en charge sur l’insuffisance cardiaque et l’ostéoporose, à l’instar des guides “parcours de soins” que produit la Haute autorité de santé (HAS) depuis plusieurs années. La seconde approche est plus innovante puisqu’elle prévoit de mesurer la qualité de la prise en charge au travers d’indicateurs de résultat (mortalité, hospitalisations, etc.) mais aussi d’indicateurs rapportés par le patient (qualité de vie, fatigue, etc.). Ces indicateurs feraient l’objet de publications permettant la comparaison entre établissements et d’incitations financières, avec un budget de 300 millions d’euros prévu pour rémunérer la qualité. 

S’il responsabilise les offreurs de soins sur les questions de qualité au travers d’incitations financières, le plan "Ma Santé 2022" se refuse à la mise sous contrainte des acteurs pour atteindre des objectifs de santé publique, ce qui constitue sa cinquième orientation stratégique. Ainsi, la permanence des soins des médecins libéraux fait l’objet de larges incitations financières plutôt que d’un régime formel d’astreinte obligatoire ("les médecins seront tellement incités qu’ils n’auront plus le choix" déclarait l’Elysée). Il en est de même pour la lutte contre les déserts médicaux pour lesquels aucune obligation temporaire d’installation dans les zones faiblement dotées en médecins n’est annoncée. 

C’est également le cas pour la gestion des urgences où le plan "Ma Santé 2022" densifie la réponse du premier niveau pour éviter le recours aux urgences, envisage de rémunérer les services d’urgence pour réorienter les patients en ville mais ne prévoit pas d’obliger les patients à appeler le SAMU avant tout accès aux urgences. C’est pourtant ce qui se fait dans plusieurs pays européens (au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas par exemple) conduisant à un recours aux urgences beaucoup moins important qu’en France. Si l’outil de la contrainte reste à manier avec précaution, la situation de détérioration de notre système, tant d’un point de vue financier qu’au niveau de la qualité des soins, aurait sans doute dû encourager une mise en responsabilité plus grande, aussi bien des soignants que des patients. A terme, on pourrait envisager de fusionner l’ensemble des centres de réception des appels d’urgence sur le territoire, entre le SAMU, la police et les pompiers. Les appels à ces trois numéros sont fréquemment de même nature et pour certains centres, le nombre moyen d’appels traités peut être insuffisant. 

Le sixième axe qui se dégage des propositions de la feuille de route "Ma Santé 2022" est le pari du numérique et de la digitalisation des soins. L’approche est transverse et vise à intégrer dans l’espace numérique du patient les aspects suivants : information sur la qualité des prises en charge, partage d’information autour du Dossier Médical Personnalisé (DMP), e-prescription, prise de rendez-vous. L’approche gouvernementale suscite ici peu de réserves dans la mesure où elle a su tirer la leçon des échecs passés (retards dans le DMP, construction d’outils numériques publics en concurrence avec des initiatives privées, expérimentations locales non généralisables). Ainsi, la construction de l’espace numérique se fera à partir de l’outil national le plus utilisé par les Français, le compte Ameli de l’Assurance maladie, en articulation avec les solutions digitales privées existantes ou en développement (outil de prise de rendez-vous type Doctolib, applications santé).  

Bien que citée à plusieurs reprises dans le discours du président de la République, la place de l’intelligence artificielle dans la transformation du système de santé n’est pas précisée dans le plan. Le potentiel est pourtant immense en matière d’efficacité des dépistages et diagnostics, dans l’optimisation du temps médical et l’amélioration de la qualité des soins, problématiques au cœur de cette feuille de route. Un budget dédié au déploiement de ces nouvelles technologies pour les acteurs du système de soins ainsi que la mise en place de programme collaboratifs entre start-ups et établissements de santé pourraient pourtant conduire au développement des usages opérationnels de l’intelligence artificielle dans notre système. 

Le dernier axe saillant de cette feuille de route illustre la volonté de réformer le financement des soins. Avec pour objectif de faire passer la part de paiement à l’acte ou à l’activité en dessous de 50 % (contre 70 % actuellement) le plan "Ma santé 2022" entend substituer à ce mode de paiement traditionnel, la rémunération à la qualité et les modalités de rémunération salariée déjà évoquées ainsi que des modes de paiement au parcours. Cette rémunération globalisée pour tout un épisode de soins favorise la qualité et la maîtrise des dépenses de santé dans la mesure où elle désincite à la survenue de complications ou d'hospitalisations. L’ensemble de ces mesures de refonte de la tarification a des effets positifs intrinsèques mais également des effets sur l’organisation des soins incitant à la coordination entre acteurs et favorisant leur regroupement. Ces financements innovants ne seront par exemple versés qu’aux Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et aux maisons de santé. Cette refonte du financement vise à réduire à terme la dépense de santé, celle-ci représentant 11,5 % du PIB, plaçant la France au troisième rang des pays de l’OCDE.  

Dans un premier temps, la feuille de route "Ma Santé 2022" mobilise des investissements à hauteur de 3,4 milliards d’euros. Ce plan trouvera donc naturellement sa traduction à la fois dans les lois de financement de la Sécurité sociale jusqu’en 2022 mais aussi dans une loi de santé en 2019 précisant les aspects de gouvernance et les modifications organisationnelles. Placé dans la lignée de la loi Debré (sans doute l’effet anniversaire), le plan "Ma Santé 2022" englobe pourtant un périmètre plus large que la loi de 1958 qui créait les Centres hospitalo- universitaires à une époque où les questions de financement des soins n’étaient pas criantes. La stratégie actuelle de transformation du système de soins s’apparente davantage au plan Juppé de 1995 dans son souci d’associer refonte du financement et évolutions des organisations de soins.

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