Les candidats qui, récemment encore, mettaient en exergue leur lien avec Moscou, se sont efforcés de prendre leurs distances. Emmanuel Macron a pu soigner son image de Président de crise. Marine Le Pen a profité des difficultés d’un Éric Zemmour, qui ne s’était pas suffisamment démarqué de Vladimir Poutine. Elle a en outre bénéficié de la priorité accordée par les Français au pouvoir d’achat. Curieusement, Mejdunarodnaïa jizn explique l’échec de Valérie Pécresse par la "russophobie" qui aurait saisi la France, la candidate de LR ayant, rappelle la revue, appris le russe dans sa jeunesse et fréquenté le camp de vacances Artek en Crimée.
Bien peu d’analystes, à l’exemple de l’article de Kommersant déjà cité (Comment Moscou a perdu de nombreux amis en Europe), évaluent les dommages causés à l’image de la Russie et de Vladimir Poutine par l’invasion de l’Ukraine. Les experts proches du pouvoir sont enclins à penser que les répercussions internes des sanctions occidentales sont susceptibles de limiter l’impact électoral négatif pour Moscou en Europe et en France notamment. Lors des scrutins qui viennent d’avoir lieu en Hongrie et en Serbie, Viktor Orban et Aleksandar Vučić l’ont nettement emporté, alors qu’ils ne dissimulent par leurs liens avec le Kremlin et qu’ils ont placé leurs pays dans une dépendance par rapport au gaz russe, observe Veronika Kracheninnikova. Certes, la France est un cas différent mais, note-t-elle, "la guerre économique déclenchée par l’Occident contre la Russie a fait de la question des prix et du pouvoir d’achat le sujet fondamental de la campagne". Plus fondamentalement, le rapport des forces politiques qui s’est instauré à l’issue du premier tour de scrutin, avec les scores décevants d’Éric Zemmour et de Valérie Pécresse, marque pour certains commentateurs la "fin du projet gaulliste", la priorité allant non plus aux questions géopolitiques mais aux problèmes socio-économiques internes. C’est aussi le constat dressé par Iouri Roubinski, en France s’est produit ce que nous voyons dans de nombreux autres pays, une polarisation des forces, qui s’accompagne d’une baisse des résultats et des perspectives des partis systémiques, explique cet observateur de longue date des affaires françaises. Les forces politiques héritées de Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand ne sont plus au centre de l’échiquier politique, déplore Youri Roubinski, la relation particulière avec la Russie trouve pourtant un écho positif dans la société française, rappelle l’historienne Tatiana Parkhalina.
Se voulant proche de la Russie, Marine Le Pen ne convainc pas vraiment
Certains commentateurs sont persuadés qu’en cas de victoire de Marine Le Pen dans les urnes, "les États-Unis et l’OTAN ne lui permettront pas de l’emporter", ainsi que le prétend Vladimir Djabarov. D’après le politologue Sergueï Markov, "même si elle obtient la majorité des suffrages, elle ne deviendra pas présidente de la France, elle sera écartée du pouvoir en violation de la loi. Il ne faut pas exagérer la démocratie en France. La démocratie est en train de disparaître dans tous les pays occidentaux". D’autres observateurs évoquent le "cauchemar" que signifierait pour Bruxelles et d’autres capitales européennes l’entrée de "l’amie de Poutine" à l’Elysée. Mais, comme Donald Trump, Marine Le Pen pourrait être paralysée par ses relations "particulières" avec la Russie et se heurter à l’opposition de Washington, affirme pour sa part Veronika Kracheninnikova. Seule Marine Le Pen est en mesure de satisfaire l’aspiration au changement exprimée par les électeurs, estime toutefois Konstantin Kossatchev ("je n'ai pas beaucoup d'espoir que quelque chose change radicalement si Macron est réélu"), persuadé qu'une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen permettrait de multiplier les "points de convergence" entre Moscou et Paris. Les experts se montrent nettement plus sceptiques.
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