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16/02/2023

L'élection présidentielle au Nigeria ouvre-t-elle la porte à un renouveau de la politique française en Afrique de l'Ouest ?

L'élection présidentielle au Nigeria ouvre-t-elle la porte à un renouveau de la politique française en Afrique de l'Ouest ?
 Enzo Fasquelle
Auteur
Chargé de mission NigeriaWatch à l'IFRA-Nigéria

Le 25 février prochain, les Nigérians se rendront aux urnes afin de porter un nouveau candidat à la tête de l’État. Face au président sortant, deux figures rivales émergent : le gouverneur Peter Obi, souvent comparé à un “Macron nigérian” et Abubakar Atiku, connu pour ses positions “pro business”. Après la visite remarquée d’Emmanuel Macron en 2018, l'élection d’un candidat d’opposition pourrait opérer un nouveau tournant dans le rapprochement franco-nigérien. Comme l’explique Enzo Fasquelle, chercheur à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), à l’heure d’une défiance accrue à l’égard de la France en Afrique de l’Ouest, un tel scénario serait l’occasion de rebattre les cartes de sa stratégie à l’échelle de la région. 

En visite au Nigeria en 2018, Emmanuel Macron vantait, depuis la mythique salle de concert du Shrine, les mérites du pays le plus peuplé d’Afrique de l'Ouest : sa croissance économique et sa jeunesse débordante d’énergie et d’idées.

Première visite officielle d'un chef d'État français au Nigeria, le président récemment élu innovait alors doublement. Il était, tout d’abord, le premier dirigeant occidental à se rendre dans le temple de l'Afrobeat de Fela Kuti, chanteur, mais aussi militant politique connu pour son engagement contre l'impérialisme occidental sous toutes ses formes, et auquel la Philharmonie de Paris consacre une exposition. Sa stratégie ensuite se distinguait de celle de son prédécesseur, centrée autour des interlocuteurs français historiques : l'Afrique de l’Ouest et le Sahel francophone.

Cette visite présidentielle s'accompagnait de rendez-vous, principalement avec des businessmen et millionnaires nigérians - le pays en compte plus de 35 000 - comme le racontent les journalistes Antoine Glaser et Pascal Airault dans leur enquête de 2021.

L'ancien banquier et gouverneur Peter Obi fait partie des rares hommes politiques qu'Emmanuel Macron croise alors sur sa route. Cinq ans plus tard, si le second est toujours président, le premier, surnommé depuis le "Emmanuel Macron nigérian" est le candidat social-démocrate du Labour Party à l'élection présidentielle de 2023. Il est opposé à un vétéran de la politique nigériane, Atiku Abubakar, 76 ans, dont il a saboté la campagne en débauchant un nombre important de soutiens. Il est aussi opposé au candidat du parti au pouvoir et favori : Bola Ahmed Tinubu, 70 ans, climatosceptique et condamné pour corruption dans les années 1990.

À l'heure où les "ressentiments anti-français" se font de plus en plus entendre en Afrique de l'Ouest et au Sahel, ce changement à la tête du Nigeria sera-t-il l'occasion pour la diplomatie française de diversifier ses partenaires ?

La tentation anglophone : histoire sans fin de la coopération française en Afrique

En 2015, quelques mois après son élection, le général (retraité) Muhammadu Buharile, nouveau président du Nigeria, était reçu par François Hollande à l'Élysée. Au menu, les discussions autour de la lutte contre Boko Haram, le forum économique France-Nigeria et l'aide au développement en vue de la réforme agricole souhaitée par le président nigérian. 

François Hollande tentait alors de diversifier les partenaires africains de la France : avec les opérations Serval - moment qu’il qualifiera lui même de "plus important de sa vie politique" - et Barkhane, il avait recentré l'Afrique dans son pré carré francophone habituel.

Quelques années plus tôt, en 2008, Nicolas Sarkozy s'était quant à lui rendu en Afrique du Sud, avec l'objectif de développer une relation forte avec le pays, qui bénéficiait alors de la première économie du continent. nic cherchait déjà par cette démarche à reconfigurer les relations franco-africaines, en renouvelant les outils de coopération et en diversifiant les partenaires commerciaux.

Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron a cherché, à son tour, à rompre avec les habitudes et partenaires de la Françafrique tant décriés. 

Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron a cherché, à son tour, à rompre avec les habitudes et partenaires de la Françafrique tant décriés. Selon le vocabulaire élyséen d’alors, il tente de "disrupter" la politique étrangère de la France sur le continent à travers un changement de formes et d’interlocuteursIl lance ainsi dès 2017 le Conseil présidentiel pour l'Afrique, regroupant des membres de la diaspora devant lui transmettre la perception de la France et de sa politique par les Africains eux-mêmes

Outil hétéroclite dont il est difficile de mesurer l'impact, ce mini think tank élyséen ne communique plus sur ses réseaux depuis près d’un an.

Dans le même temps, à l'occasion de chacun des déplacements du président sur le continent, ses rencontres avec la société civile, avec les entrepreneurs ou les "young leaders" sont largement relayées par la presse aussi bien française qu'africaine, alors que l'Elysée communique moins largement sur les entretiens menés avec les responsables politiques africains, plus ou moins démocrates.

Il s'efforce aussi de relancer la coopération avec les partenaires historiques de la France. On peut se souvenir de son discours au Rwanda où il "reconnaît les responsabilités françaises". On peut également rappeler les débats mémoriels autour de la Guerre d'Algérie et de ses héritages nourris par le rapport commandé à l’historien Benjamin Stora. En même temps, le président français se cherche de nouveaux relais en Afrique, comme il l’indique d’ailleurs dès son discours à Ouagadougou en 2017 : "l’Afrique, c’est 54 pays".

L'opération séduction au Nigeria en 2018 est conçue dans cette même perspective. On notera, également, qu’elle est précédée de peu d’un accord de défense entre les deux pays, construit selon le même canevas - pas d'assistance automatique et logique multilatérale - que ceux mis en place sous la présidence Sarkozy comme le rappellent les parlementaires de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

La France et le Nigéria : une coopération tirée par les hydrocarbures

Plus vaste pays d'Afrique de l’Ouest, le plus peuplé du continent, également le plus riche en valeur absolue, le Nigeria additionne les superlatifs, autant qu'il fait peu parler de lui dans l'espace médiatique français. 

Cela n'empêche pas une coopération économique intense : le pays est déjà le premier partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne, et le 4ème sur l'ensemble du continent après respectivement le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. 

Ces données ne doivent pas masquer une coopération économique en réalité très peu diversifiée, reposant avant tout sur des échanges autour des hydrocarbures. Le pétrole, le gaz et autres produits des industries extractives représentent 96  % des exportations nigérianes vers la France en 2020, tandis qu’à l'inverse, le pétrole raffiné représente près de 18  % des exportations françaises vers le pays.

Si les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à chercher à s’implanter sur le marché nigérian - composé d’une classe moyenne en pleine expansion - la communauté française reste limitée à quelques milliers de personnes sur l'ensemble du territoire contre environ 20 000 rien qu’à Dakar et plus de 100 000 pour l’ensemble de l'Afrique francophone. On retrouve en tout et pour tout une centaine d'entreprises françaises principalement dans les secteurs pétrolier, pharmaceutique, ou de l'industrie manufacturière. Si le Nigeria attire relativement peu les entreprises françaises, ce n'est pas uniquement parce que le pays n'est pas francophone ou que la concurrence internationale y est déjà rude : c'est aussi l'insécurité régnante qui refroidit certains investisseurs.

Si les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à chercher à s’implanter sur le marché nigérian [...] la communauté française reste limitée à quelques milliers de personnes sur l'ensemble du territoire.

Le Nigeria fait en effet face à plusieurs conflits.Au Nord-Est, les mouvances djihadistes type Boko Haram, au Centre, les oppositions mortifères entre pasteurs et agriculteurs, au Sud-Est les opérations des sécessionnistes biafrais, ou encore dans le golfe de Guinée, l’essor de la piraterie maritime. À cela s'ajoutent des enlèvements fréquents, une criminalité rampante et des accidents de la route très nombreux. Selon la base de données NigeriaWatch, on décompte plus de 15 000 morts violentes en 2022 dans l'ensemble du pays ; un résultat en constante hausse depuis 5 ans alors même que Muhammadu Buhari s'était fait élire sur la promesse de mettre fin à cette mouvance terroriste.

La coopération de défense avec la France reste quant à elle très récente et limitée à un seul accord - principalement juridique - formalisé en 2018. En dépit des mesures annoncées par le président Buhari lors de son élection en 2015 pour calmer le jeu, l'armée nigériane est demeurée très violente, ce qui tempère toute volonté de collaboration. Un des politistes, spécialiste du Nigeria, Marc-Antoine Pérouse de Montclos l’expliquait encore récemment : les militaires et leurs supplétifs ont fait plus de morts que Boko Haram dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

Par ailleurs, la classe politique nigériane demeurant très nationaliste n'est pas nécessairement à la recherche de partenaires extérieurs pour régler ces défis sécuritaires.

Promoteur et premier contributeur financier de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Nigeria dispose d'une influence majeure sur l'ensemble de la région. Beaucoup des économies des pays limitrophes sont orientées vers le marché nigérian. Pourtant, l'internationalisation de ses conflits locaux, comme ses faiblesses domestiques (corruption, gestion opaque de la manne pétrolière) l'empêche de jouer un rôle prépondérant en matière de définition des orientations politiques régionales. À la fois craint et finalement peu entendu, ce "géant boiteux" occupe une position ambivalente au sein de la CEDEAO.

Que pourrait changer l'élection présidentielle du 25 février ?

Dans ce contexte de coopération principalement économique, que pourrait changer l'élection présidentielle du 25 février ? - si elle n'est pas décalée, alors que le Nigeria devrait expérimenter pour la première fois, et dans un contexte social tendu, un système électronique de vote.

Des trois principaux candidats, par sa trajectoire personnelle comme par ses idées, Peter Obi serait le mieux placé pour nouer un partenariat privilégié avec la France.

Des trois principaux candidats, par sa trajectoire personnelle comme par ses idées, Peter Obi serait le mieux placé pour nouer un partenariat privilégié avec la France. Si son élection serait à même d’ouvrir une fenêtre d’opportunité idéale, elle demeure néanmoins très peu probable. Le candidat du Labour Party est en effet peu implanté localement et ne dispose pas de la structure d’appareil nécessaire pour attirer les électeurs aux urnes sur l'ensemble du territoire.

Sa popularité repose principalement sur la jeunesse urbaine et les diasporas (qui ne votent pas). Bien que quelques semaines avant l'élection et à contre-courant de ce que la presse a pu écrire depuis des mois, certains sondages le placent maintenant en tête, il y a fort à parier que son poids électoral se révèle bien plus faible que son poids médiatique.

Le deuxième homme de cette campagne, Abubakar Atiku, présente quant à lui certainement le programme le plus libéral et développementaliste. C’est un homme politique expérimenté, connu pour ses positions "pro-business". Il répète à l'envi souhaiter que le Nigeria affiche le taux d’imposition des entreprises le plus faible d’Afrique. Il table sur le secteur privé et les investissements étrangers pour stimuler la croissance économique du pays qu'il estime pouvoir atteindre 10 % sous son administration. Régulièrement en visite en Europe, capable d’adapter son discours aux enjeux de l’époque (il saupoudre par exemple sa communication de références aux changements climatiques), il s'agirait d'un partenaire assez prévisible pour la diplomatie française.

Enfin, le cas de Bola Ahmed Tinubu, candidat du parti au pouvoir et à ce titre favori, est peut-être le plus difficile à anticiper. Personnalité à la santé déclinante, il a également tenu des propos controversés sur le changement climatique, dont il attribue la responsabilité entièrement à l'Occident. Son programme est jugé "brutal" aussi bien en matière économique que sécuritaire par des observateurs de la politique nigériane. Alors que dans les derniers jours de janvier, le convoi de son prédécesseur recevait des projectiles lors de ses déplacements dans le Nord, il ne serait pas particulièrement surprenant que l’arrivée au pouvoir de Tinubu, conjuguée à une forte lassitude des Nigérians face à l’inflation, l'insécurité ou les pénuries d’essence, provoque également des contestations dont l’ampleur reste imprévisible.

Cette tripartition inédite de l'offre politique pourrait avoir des conséquences importantes. La loi électorale nigériane disposant qu'il faut, pour être élu, au moins 25 % des voix dans 23 des 36 États, cette élection pourrait connaître un second tour : ce serait une première depuis 1999.

Face aux sentiments anti-français, qu'il s'agit de doublement nuancer - parce qu'ils ne sont pas qu'anti-français, et parce qu'ils ne sont pas récents (Nicolas Sarkozy les déplorait déjà à Cape Town en 2008) - la France a régulièrement cherché à diversifier ses partenaires sur le continent, avec, pour le moment, un succès mitigé.

Face à la concurrence internationale, il semble délicat pour les entreprises françaises - en perte de vitesse entre 2010 et 2020 - de se maintenir sur des marchés où elles n’ont que peu de relais. Le bilan de Barkhane tout comme le retour des Russes à travers le groupe paramilitaire Wagner rend également délicate la négociation de nouveaux accords de défense.

La visite d'Emmanuel Macron au Nigeria en 2018 avait permis à la France d'apparaître, pendant quelques jours, sur les radars du géant nigérian. Si les pronostics sont déjoués et qu'Abubakar Atiku ou Peter Obi sont élus président fin février, la France aura, alors, un nouveau coup à jouer pour s'affirmer comme un partenaire stable d'une démocratie, qui sera d'ici 30 ans plus peuplée que les États-Unis.

 

Copyright image: PIUS UTOMI EKPEI / AFP

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