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03/09/2020

Leçons de l’été avant une rentrée sous surveillance

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Leçons de l’été avant une rentrée sous surveillance
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

L’économie française, comme la plupart des économies industrialisées, a repris son expansion dès la fin du confinement "dur", suivant en cela le scénario chinois avec un trimestre de retard. Début septembre, nous étions cependant loin du niveau d’activité d’avant l’épidémie. Certes, l’indicateur de climat des affaires de l’Insee a rebondi de près de 40 points (c’est à dire 4 écart-types de la série longue) par rapport au mois d’avril, mais il était encore 9 points en dessous de sa moyenne historique, et 14 points plus bas qu’au mois d’avril. Il y a donc du chemin à faire pour que notre économie retrouve un niveau d’activité normal, encore plus à faire pour regagner le terrain perdu pour la création de richesse et donc de revenu.

La reprise va certainement se poursuivre, comme le montrent sans ambiguïté l’indicateur de retournement conjoncturel, calé à son niveau maximum, et le niveau élevé des anticipations des entreprises révélés par les enquêtes de l’Insee. Sera-t-elle suffisante pour réparer les dégâts du confinement ? Pourrait-elle être entravée par les mesures sanitaires déployées récemment ? Les plans de relance du gouvernement et de l’Union européenne vont-ils changer la donne ?

La réponse à la première question est "probablement non", à la seconde "probablement oui". Quant à la troisième, nous attendrons de connaître les détails du plan. Mais, bien sûr, tout est dans la mesure. Pour tenter d’éclairer un peu le débat économique de rentrée, commençons par examiner ce que nous avons appris au cours de l’été.

Le commerce mondial s’est mieux tenu que prévu

Quelques bonnes nouvelles, d’abord. La baisse du commerce mondial au pire de la crise a été moins prononcée qu’on ne pouvait le craindre. Selon la compilation des données de commerce extérieur par le Centraal Planbureau (CPB) hollandais, qui fait autorité, le commerce de produits manufacturés s’est contracté de 12,5 % au deuxième trimestre par rapport au premier, malgré un rebond mensuel de 7,6 % en juin. Pour mémoire, le commerce mondial jaugé en rythme trimestriel avait baissé de 13 % en février 2009, suite à la crise financière. En raison du blocage de la production dans de nombreux pays, on s’attendait à bien pire, ce qui fut d’ailleurs le cas en Europe. L’épicentre de la contraction du commerce mondial, jugée par les importations, fut en effet la zone euro, avec une contraction de 14,2 % au deuxième trimestre, contre -11 % pour les États-Unis et -1,7 % pour la Chine, dont les importations s’étaient aussi contractées au 1er trimestre, mais modérément (-6,7 %).

L’épicentre de la contraction du commerce mondial [fut] la zone euro, avec une contraction de 14,2 % au deuxième trimestre, contre -11 % pour les États-Unis et -1,7 % pour la Chine.

Une politique de confinement plus stricte, mais aussi un soutien massif au chômage partiel permettant aux entreprises de réduire la production sans que leur trésorerie n’en souffre trop, expliquent probablement cette particularité européenne. En 2009, c’était l’inverse : l’Europe avait mieux résisté que les pays asiatiques ou les États-Unis. Logiquement, le redémarrage de l’activité sur le vieux continent devrait inverser cette dynamique dans les mois à venir, même si rien ne peut être tenu pour acquis.

La baisse d’activité était assez bien anticipée

La contraction du PIB au plus fort du confinement (le deuxième trimestre), a été assez conforme voire inférieure aux prévisions, en France comme dans les autres économies de l’UE. Dans le scénario optimiste (reprise en V) que nous avions présenté en avril, la contraction annuelle du PIB français était de l’ordre de 11,5 % en 2020. Avec les chiffres de l’Insee en main, nous révisons cette prévision à -10 %, tandis que le scénario médian, qui comporte un affaissement en fin d’année 2020, remonte plus nettement, de -14 % à -11 %. Mais si une contraction du PIB - donc du revenu distribuable aux français sans grever le futur, cela mérite d’être rappelé - de l’ordre de 10 % cette année semble acquise, la question essentielle sera l’ordre de grandeur du rebond en 2021.

Les comparaisons de croissance entre pays européens sont sujettes à caution

Signalons à ce propos que les comparaisons entre pays européens sont sujettes à caution. Une part significative des écarts de croissance provient du traitement statistique de la production des administrations, qui, pour l’essentiel, ne relève pas de l’économie de marché. La convention statistique est, en simplifiant un peu, de mesurer leur valeur ajoutée par la rémunération des personnels complétée par une contribution du capital "productif" (essentiellement les bâtiments). Or, durant le confinement, cette convention n’avait pas grand sens, puisqu’une large part des employés des administrations était au chômage technique, tout en étant normalement rémunérés. Les instituts statistiques de certains pays, dont la France et le Royaume-Uni, ont opté pour le réalisme, l’Insee considérant par exemple que, hors services de santé, 25 % des employés des administrations étaient au chômage technique. D’autres, dont l’Allemagne ou l’Espagne, ont conservé la méthode traditionnelle. Selon certains calculs (voir @fipaddict), cette différence de méthode pourrait expliquer au moins 3 points de différentiel de croissance au cours des six premiers mois de l’année entre l’Allemagne d’un côté, la France et le Royaume-Uni de l’autre. Il faudra attendre au moins un an, si ce n’est plus (publication des comptes nationaux annuels semi-définitifs), pour en avoir le cœur net. D’ici-là, mieux vaut ne pas se livrer à de longs développements sur les différentiels de croissance au cours de la crise.

C’est l’investissement public qui a le plus plongé !

Revenant à la France, les surprises viennent plutôt de l’investissement. Comme prévu, celui des entreprises s’est fortement contracté, (-16 % au T2 après -9 % au T1), mais celui des administrations publiques comme des ménages a encore plus baissé (-20,4 % au T2 après -11 % au T1 pour le premier).

Comme les administrations sont bien moins sensibles aux incertitudes que les entreprises, il faut aller chercher ailleurs la cause de l’effondrement de leurs investissements. Le cycle électoral y est certainement pour quelque chose : les municipalités ont coutume de dépenser généreusement avant les élections, de façon à flatter le bilan de leurs équipes, mais le soufflé retombe dès que l’échéance approche et encore plus après. Mais il faut probablement aussi y voir l’impact des mesures sanitaires sur le secteur de la construction et du BTP, principaux opérateurs de l’investissement des collectivités locales, et c’est d’ailleurs la seule explication plausible de la chute concomitante de l’investissement en logement.

Comme prévu, [l'investissement] des entreprises s’est fortement contracté, (-16 % au T2 après -9 % au T1), mais celui des administrations publiques comme des ménages a encore plus baissé (-20,4 % au T2 après -11 % au T1 pour le premier).

Les entreprises sont inquiètes … de leur perte de compétitivité

Dernier point, mais non des moindres. Malgré le filet de protection dont elles ont bénéficié, malgré l’ampleur des prêts garantis par l’État et les soutiens directs à différentes filières, les entreprises sont franchement inquiètes, en particulier dans le secteur industriel. La situation de trésorerie est jugée très préoccupante, même si la proportion d’entreprises en "difficulté de trésorerie" reste faible. En raison de la garantie par l’État des prêts bancaires aux entreprises, on comprend que les "difficultés de trésorerie" aient peu augmenté. Mais la dégradation de l’opinion des entrepreneurs sur leur trésorerie révèle clairement que, sans ces aides, la situation serait catastrophique, ce qu’on conçoit aisément. Plus surprenant est le jugement très négatif des entrepreneurs industriels sur leur compétitivité à l’exportation, que ce soit vers le marché européen ou les marchés hors UE. Relativement neutre avant la crise du Covid-19, le solde d’opinion révélé par l’enquête trimestrielle de l’Insee a littéralement plongé en avril puis à nouveau en juillet. La chute brutale des carnets de commande étrangers peut partiellement expliquer ce pessimisme, mais on ne peut s’empêcher de penser que les entreprises françaises se sentent plus contraintes par les règles sanitaires que leurs concurrentes, mais aussi par les tentatives de bloquer la reprise du travail devant les tribunaux par certains syndicats, comme ce fut le cas pour Amazon ou Renault.

Que faire pour accélérer la reprise et la rendre plus robuste ?

Nous reviendrons sur le sujet des politiques macro-économiques d’accompagnement de la reprise une fois que le plan de relance, dont on connaît les grandes lignes mais pas les détails, aura été présenté par le Premier ministre. Mais on peut d’ores et déjà tirer quelques leçons de ce que nous avons appris cet été.

Les règles sanitaires sont indispensables [...], mais elles doivent être conçues et appliquées avec pragmatisme, et leur application facilitée par une plus grande flexibilité pour l’emploi et le temps de travail.

Les règles sanitaires sont indispensables pour prévenir une augmentation excessive du nombre d’infections, mais elles doivent être conçues et appliquées avec pragmatisme, et leur application facilitée par une plus grande flexibilité pour l’emploi et le temps de travail. Le pire serait de brider les entreprises qui ont la possibilité de reprendre plus rapidement, voire de tirer avantage des circonstances présentes. Que Zoom, Salesforce ou Amazon aient vu leurs valeurs boursières s’envoler témoigne de leur adaptation et de leur réussite. Que les entreprises françaises qui s’adaptent et réussissent soient pénalisées serait le signe d’un grave dysfonctionnement de l’économie française.

L’incertitude sur la suite des évènements reste l’obstacle majeur au renforcement de la reprise. Le bond du taux d’épargne des ménages, passé de 15,1 % fin 2019 à 27,4 % à la fin juin, s’explique aisément par le maintien des rémunérations par subvention alors que la consommation était contrainte. Mais alors que la situation se normalise pour les possibilités de consommation, l’enquête auprès des ménages montre une montée d’avis favorables à l’épargne et une baisse de l’intérêt pour les achats de biens durables, signes que les consommateurs ne sont pas prêts à dépenser ce qu’ils ont accumulé. L’incertitude sur l’emploi futur bien sûr, mais aussi - c’est plus inattendu - sur l’inflation, dont les français craignent le retour, pèsent sur les décisions d’achat et donc sur la reprise de la demande. Ce ne sont pas de subventions dont les ménages ont besoin, mais de signes tangibles que la reprise s’accélère, meilleure assurance contre le risque de chômage, et l’assurance que les prix ne s’envoleront pas, ce qui justifierait d’instaurer une période de soldes exceptionnelle, à défaut de baisser temporairement le taux de TVA, comme l’Allemagne l’a fait.

Du côté des entreprises, un phénomène similaire à l’augmentation de l’épargne des ménages se fait jour : les liquidités dont les entreprises disposent ont bondi, probablement le résultat des prêts garantis, alors que l’investissement a lourdement chuté. Comme l’incertitude est de nature systémique - due à la nature incertaine de l’évolution de la pandémie et des politiques sanitaires - il serait justifié et efficace de subventionner l’investissement des entreprises, de façon à amplifier sa reprise, lorsque celle-ci viendra.

 

Copyright : FRANCK FIFE / AFP

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