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21/03/2023

L'eau et ses défis : trois secteurs impactés par la sécheresse en France

L'eau et ses défis : trois secteurs impactés par la sécheresse en France
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

“Accélérer le changement” : c'est le thème choisi en 2023 pour la Journée mondiale de l'eau. Un thème qui résonne avec une acuité particulière en France où les épisodes climatiques extrêmes s’accentuent d’année en année, entraînant des risques sécuritaires et économiques majeurs. La sécheresse qu’a vécue la France en février 2023 constitue à ce titre une bonne illustration : la recharge réduite des nappes phréatiques menace la production agricole. Outre l’agriculture, une pénurie d’eau en France aurait des conséquences économiques significatives sur la production électrique, largement dépendante des cours d’eau pour refroidir les centrales nucléaires et pour le fonctionnement des centrales hydroélectriques. Enfin, la raréfaction de l’eau fait peser une menace sur l’industrie lourde, en particulier sur les coûts de production de ce secteur très intensif en eau.

S’adapter à de nouvelles situations climatiques

L’eau est l’une des ressources les plus affectées par le dérèglement climatique. Si la quantité d’eau disponible sur terre reste stable d’années en années, l’eau ne tombe plus en même quantité au même endroit. Au niveau mondial, les zones subtropicales (hautes latitudes) tendent à s’assécher alors que les zones de faibles et moyennes latitudes observent une augmentation des précipitations. Sur d’autres territoires, les épisodes de précipitations s’intensifient, accentuant le risque d'inondations et de glissements de terrain, lesquels provoquent des pertes agricoles et des dommages graves sur la population et la biodiversité marine. En septembre 2022, les inondations au Pakistan ont recouvert près de 10 % de la superficie du pays et tué plus de 1 300 personnes.

La multiplication des évènements climatiques extrêmes engendre des coûts économiques conséquents. L’OCDE évalue à 120 milliards de dollars par an le coût économique des inondations.

La multiplication des évènements climatiques extrêmes engendre des coûts économiques conséquents. Selon le GIEC, la fréquence et la sévérité des évènements climatiques extrêmes (sécheresses, ouragans…) s’accentueront, avec pour incidence un coût économique élevé pour la société. L’OCDE évalue à 120 milliards de dollars par an le coût économique des inondations. En parallèle, le manque d’eau est à l’origine de la multiplication et de l’intensification des feux de forêts, comme en témoignent les épisodes de 2019 et 2020 en Australie et plus récemment en Californie, dont le coût total est estimé à plus de 10 milliards de dollars par les assureurs américains.

La dérégulation des précipitations oblige nos sociétés à investir pour prévenir l’impact d’un manque d’eau (ou d’un trop plein) sur leur économie. D'après le GIEC, près de 60% des actions menées pour s'adapter au dérèglement climatique sont liées à des risques pesant sur l’eau. Un rapport de l’OCDE estime qu’au niveau mondial, les investissements liés à la sécurité de l’eau (approvisionnement et qualité) devraient être multipliés par trois en vingt ans - un saut de 6,7 trillions de dollars en 2030 à 22,6 trillions en 2050.

En parallèle, les besoins mondiaux d’eau pour l’économie explosent et augmentent de facto la pression sur la ressource. Une projection de 2012 de l’OCDE montre ainsi que la demande mondiale d’eau devrait augmenter de 55% entre 2000 et 2050, particulièrement dans la production industrielle (+400 %) et la génération d'électricité (+140 %). D’après un rapport des Nations Unies, la consommation mondiale d’eau pour l’agriculture devrait augmenter de 19 % d’ici 2050, notamment à cause de la pression démographique. Ces projections d’une consommation à la hausse semblent inconciliables avec les réalités de la situation : les nappes phréatiques sont de moins en moins rechargées.

La France est de plus en plus touchée par les enjeux de l’eau et devrait observer une augmentation drastique des conflits d’usage dans les années à venir. En ce sens, le gouvernement travaille sur la publication d’un “plan de sobriété” sur l’eau pour mieux réguler la consommation d’eau et articuler sa bonne répartition entre les principaux acteurs. L’importance d’une meilleure réglementation des usages semble particulièrement prégnante pour les secteurs les plus consommateurs en eau, à savoir l’agriculture, l’énergie et l'industrie.  

L’agriculture, premier secteur touché par le manque d’eau

L’agriculture est le premier secteur consommateur d’eau, avec 45 % de l’eau consommée en France (et 70 % au niveau mondial). Cette eau sert d’une part à l’irrigation (près de 9 % des prélèvements nationaux) et d’autre part à l’élevage (une vache laitière consomme 65 à 90 litres d’eau par jour).  La raréfaction de l’eau en période estivale fait courir des risques importants sur les cultures : la grande majorité des apports hydriques se fait durant l’hiver et l’automne (88 % des apports) et l’agriculture consomme près de 80 % de l’eau consommée en France sur la période juin à août. Un exemple souvent cité est celui du maïs dont les besoins en eau se concentrent aux mois de juillet et août au moment où la ressource se fait la plus rare.

Si l’agriculture est le secteur le plus affecté par la faible disponibilité en eau, le maintien de modèles agricoles intensifs aggrave cette situation. Les sécheresses ont des conséquences néfastes sur la production agricole : en 2015 par exemple, les sécheresses en Afrique du Sud ont réduit la production de 8,4 %. La baisse de qualité de l’eau - sous l’effet de la multiplication des activités polluantes mais aussi de la salinisation induite par l’élévation du niveau de la mer - est également un risque pour l’agriculture, qui pourrait voir sa productivité diminuer.

Si l’agriculture est le secteur le plus affecté par la faible disponibilité en eau, le maintien de modèles agricoles intensifs aggrave cette situation.

Or, s’ils en sont les premiers affectés, nos modèles agricoles participent eux-mêmes à la diminution et la dégradation de l’eau. Les besoins intenses en irrigation de nos cultures entretiennent le pompage des nappes phréatiques. De même, l’utilisation de produits de synthèse (phytosanitaires ou engrais azotés) rejette des matières nocives dans les milieux, polluant ainsi les sols, l'eau, et dégradant la biodiversité.

Comme alternatives à l’eau potable, notre pays valorise peu ses ressources hydriques. La France possède en effet la deuxième ressource d’eau la plus importante d’Europe derrière la Norvège, mais ne la mobilise que très peu : seule 5 % de sa ressource disponible en eau est stockée, contre près de 50 % en Espagne. En outre, notre pays utilise moins de 1 % de ses eaux usées pour irriguer, alors que le taux de recyclage atteint 8 % en Italie et 15 % en Espagne, et même 90 % en Israël. Ainsi, le potentiel de récupération et réutilisation des eaux de pluie et des eaux usées est encore largement sous-exploité en France.

L’énergie, un secteur très touché par la raréfaction de l’eau

Près d’un tiers de l’eau consommée en France est utilisée pour refroidir les centrales électriques, et en premier lieu les centrales nucléaires. La baisse du débit des fleuves constitue un réel enjeu de sécurité énergétique. Ainsi, les réacteurs de la centrale de Chooz dans les Ardennes ont dû être mis à l’arrêt à plusieurs reprises par manque d’eau. Si, depuis 20 ans, la sécheresse n’a fait perdre à EDF que 0,3 % de sa production cible, le phénomène pourrait devenir plus problématique dans les années à suivre : lorsque les cours d'eau se réchauffent, certaines centrales doivent arrêter un ou plusieurs réacteurs par mesure de sécurité. La Loire s’est par exemple réchauffée de 1,2° entre 1984 et 2011, mettant régulièrement en difficulté les quatre centrales nucléaires qu’accueillent les berges du fleuve. Aujourd’hui, le choix est fait de construire de nouvelles centrales au bord de la mer (comme Flamanville) pour éviter ces ruptures et pouvoir refroidir la centrale indépendamment des aléas climatiques.

Outre les centrales nucléaires, le stress hydrique pose un réel enjeu pour la production d'hydroélectricité, aujourd’hui la première des énergies renouvelables en France.

Outre les centrales nucléaires, le stress hydrique pose un réel enjeu pour la production d'hydroélectricité, aujourd’hui la première des énergies renouvelables en France (12 % de la production électrique française). Par la multiplication des sécheresses, la production hydraulique d'EDF a baissé de près d'un quart (22,4 %) en 2022 par rapport à l’année précédente. Dans un contexte de décarbonation de notre mix électrique, le développement de l’hydroélectricité est un levier d’action majeur, qui pourrait être fragilisé par la multiplication des périodes de sécheresse.

Ce risque est d’autant plus critique que l’eau des barrages ne sert pas seulement à la production d’électricité mais également à l’approvisionnement en eau potable, à l’irrigation voire à la préservation de la biodiversité.

L’industrie ne sera pas épargnée par les problématiques d’eau

Pour son fonctionnement, l’activité industrielle est largement dépendante en eau. L’eau est utilisée comme solvant pour certaines opérations industrielles (électrolyse, dilution de substance…) et peut servir à créer des changements de températures (elle est particulièrement utile pour refroidir ou réchauffer). Dans la métallurgie, la quantité d’eau nécessaire pour fabriquer un kilo d’acier est estimée entre 300 et 600 litres d’eau. L'industrie numérique est également grande consommatrice : à elle seule, l’entreprise Google consomme près de 16 milliards de litres d’eau pour refroidir ces data centers.

Les risques économiques et financiers d’une pénurie d’eau sont lourds pour l’activité industrielle. Dans un premier temps, la raréfaction de l’eau se répercute sur les coûts de production : selon McKinsey, deux-tiers des industries du monde entier sont directement menacées dans leurs opérations ou dans leur chaîne de valeur. A titre d’exemple, la sécheresse au Brésil en 2015 a fait augmenter les coûts de General Motors de 2,1 millions de dollars pour sa facture d’eau et de 5,9 millions de dollars pour l'électricité. Dans un second temps, la faible disponibilité de l’eau pour les industries constitue un mauvais signal pour les investisseurs. L’ONG Carbon Disclosure Project (CDP) estime à près de 425 milliards de dollars la valeur des actifs qui seraient menacés. Le coût réputationnel est également en cause. La responsabilité légale et citoyenne des acteurs privés sur leur gestion de l’environnement étant davantage scrutée, des épisodes de pollution des cours d’eau conduiraient à détériorer l’image publique de l’entreprise et la condamner à de lourdes amendes.

De nombreuses entreprises adaptent leur production à ces nouvelles réalités physiques et réglementaires. Des investissements dans l’innovation permettent d’améliorer l’efficacité de la gestion de l’eau. Dans l’industrie automobile, une peinture mélangée à de l’eau traitée et recyclée permet de mieux valoriser les eaux usées. Dans le secteur de la papeterie notamment, des progrès techniques ont permis une réduction des besoins en eau de près de 55 % en 30 ans.

Dans le secteur de la papeterie notamment, des progrès techniques ont permis une réduction des besoins en eau de près de 55 % en 30 ans.

Ces progrès en efficacité ne constituent toutefois pas des efforts de sobriété : la demande en eau y reste encore très importante, de l’ordre de 10 à 25 m3 d'eau par tonne de papier. Enfin, l’avancée des réglementations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) oblige les industries à prendre en compte l’impact de leur activité sur l’environnement. L’internalisation des externalités de production provoquera une augmentation des coûts à court terme pour les industries mais une diminution des coûts finaux pour la société à moyen-long terme. En effet, si une industrie cesse de polluer une rivière, en utilisant moins de produits chimiques par exemple (ce qui peut représenter à court terme une perte de rendements), le coût de dépollution de la rivière (lequel est bien plus supérieur aux coûts pour l’entreprise) pour la société s’annule.

Conclusion

La gestion de l’eau représente un défi majeur d’adaptation au dérèglement climatique. Une grande partie des secteurs économiques, de l’agriculture à l'industrie en passant par l’énergie, sera touchée par les problématiques d’approvisionnement et de qualité de l’eau, et plus largement par la multiplication des conflits d’usages.

 

Analyse coécrite avec Maxence Delespaul, assistant chargé d’études à l’Institut Montaigne.

 

 

Copyright Image : Lionel BONAVENTURE / AFP
Une vue aérienne montre les rives et le barrage du lac artificiel de Saint-Peyres à Angles, dans le sud-ouest de la France, le 27 août 2022.

 

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