Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
18/11/2020

Le vaccin contre le Covid-19 et les grandes ambitions chinoises

Trois questions au Dr. Huang Yanzhong

Le vaccin contre le Covid-19 et les grandes ambitions chinoises
 Huang Yanzhong
Senior Fellow en santé mondiale au Council on Foreign Relations

Raccourcis réglementaires, campagne de vaccination massive en Chine, essais cliniques dans une douzaine de pays étrangers et une promesse faite aux pays émergents qu’ils auraient un accès prioritaire : la Chine de Xi Jinping agit vite et fort sur le dossier du vaccin Covid-19, tout en communiquant sur ce vaccin comme un "bien public mondial". Plusieurs entreprises chinoises sont lancées dans une folle course, et Pékin place de grands espoirs dans un succès qui pourrait compenser la détérioration de son image à l’international suite à la pandémie. Nous nous sommes entretenus avec le Dr Huang Yanzhong, senior fellow en santé publique au Council on Foreign Relations et auteur du récent ouvrage Toxic Politics, China’s Environmental Health Crisis and Its Challenge to the Chinese State.

De quelles manières le programme chinois de développement d’un vaccin contre le Covid-19 diffère-t-il des programmes similaires mis en place par d’autres pays ?

Ce qui est intéressant, c’est de regarder le rôle de l’État dans le processus de développement et dans la future distribution d’un vaccin. Aux États-Unis, le gouvernement joue aussi un rôle important dans le processus, mais surtout via le financement de la recherche et en sélectionnant les compagnies pharmaceutiques avec lesquelles il travaille. C’est le "push" qui précède le "pull", c'est-à-dire l’identification des vaccins les plus efficaces pour les acheter et ensuite les distribuer.

En Chine, l’État joue un rôle allant au-delà du simple financement. Dès le début de la crise, il s’est engagé politiquement à ce qu’une entreprise chinoise réussisse à fabriquer un vaccin rapidement. La recherche a débuté en janvier 2020 et a exploré simultanément cinq approches technologiques différentes : les vaccins inactivés, les vaccins protéiques recombinants, les vaccins à vecteur adénoviral, les vaccins à base d’acides nucléiques et les vaccins utilisant la grippe comme vecteur.

En plus des ressources financières et des capacités de recherche de l’industrie pharmaceutique, l’État mobilise également celles des universités, des instituts de recherche, des laboratoires haute sécurité, et des compagnies technologiques.

Une à trois équipes de R&D s’occupent de chacune de ces approches. En plus des ressources financières et des capacités de recherche de l’industrie pharmaceutique, l’État mobilise également celles des universités, des instituts de recherche, des laboratoires haute sécurité, et des compagnies technologiques. La stratégie est de parier sur tous les chevaux en espérant que l’un d’entre eux arrive au bout de la course. Les Chinois espèrent avoir des résultats intérimaires d’ici la fin décembre et seront probablement en mesure d’annoncer le succès d’un vaccin au début de l’année prochaine. Cependant, au lieu de le stimuler, l’État freine aussi parfois le processus. 

Par exemple, l’entreprise CanSino avait conclu un accord avec le Canada pour y effectuer des essais cliniques, mais les vaccins sont restés bloqués à la douane chinoise pour plus de six semaines. CanSino a finalement dû abandonner car le gouvernement chinois ne donnait aucun signe qu’il approuverait le partenariat. Plusieurs acteurs gouvernementaux interviennent donc dans le processus de développement puis de distribution d’un vaccin, y compris le ministère des Affaires étrangères, qui a promis à des pays en Afrique sub-saharienne, en Amérique latine ou en Asie du Sud-Est qu’ils auraient un accès prioritaire au vaccin.

Trois entreprises chinoises - Cansino, Sinopharm et Sinovac - mènent la course au vaccin. Est-ce que l’État régule et coordonne la compétition entre ces entreprises ? 

La nature fragmentée de l’autoritarisme chinois fait que la coordination n’est pas aussi fluide que le voudrait le gouvernement central. Au Zhejiang, le gouvernement local a débuté la vaccination parmi des catégories de population qui n’étaient pas listées comme prioritaires par les directives des autorités de santé nationales. Ceci reflète la volonté des fabricants de vaccins d’engranger des bénéfices avant que les directives nationales ne soient établies. En d’autres termes, les entreprises profitent du vide juridique afin de fixer des prix leur permettant réaliser une marge sur les vaccins.

Les gouvernements locaux ont également intérêt à vacciner leurs populations afin de respecter les règles intransigeantes du gouvernement central à l’égard de nouvelles infections. Le nombre d’acteurs impliqués, allant du ministère des Affaires étrangères à la Commission nationale de la santé en passant par l’Agence chinoise des produits médicamenteux, les gouvernements locaux ou les fabricants de vaccins, fait que le processus est dans l’ensemble décentralisé et fragmenté. Une nouvelle politique plus explicite et facilement applicable devrait être dévoilée par le gouvernement central à l’issue des essais cliniques de phase trois.

Des centaines de milliers de Chinois ont déjà été vaccinés. Cette approche différente vis-à-vis des essais cliniques n’est-elle pas précipitée ? Quelles sont les conséquences internationales d’une telle approche ?

Les vaccins qui ont eu lieu en Chine ne font pas partie des essais cliniques à proprement parler. Nous ne connaissons pas le nombre exact mais des centaines de milliers de Chinois ont déjà été vaccinés. Mon estimation initiale était de 400 000 personnes, mais les autorités du Zhejiang disent avoir déjà distribué plus de 700 000 doses du vaccin dans la province.

Cependant, la décision ne semble pas relever complètement de l’échelon provincial : il semblerait que les municipalités de Jiaxing et de Yiwu soient à l’origine de la décision de vacciner leurs populations et que ce soient aussi elles qui aient décidé de qui recevrait le vaccin en priorité. Ils ont certainement eu besoin de l’accord du gouvernement provincial du Zheijiang, mais il semblerait que ce processus soit, comme je l’ai déjà indiqué, très décentralisé. En Chine, la Loi sur l’administration de vaccins et la Loi sur l’administration de produits pharmaceutiques prévoient qu’un vaccin peut être autorisé en urgence, mais la question est de savoir si la situation actuelle justifie cette utilisation expérimentale. Il y a actuellement peu de cas en Chine. 

En Chine, la [loi] prévoit qu’un vaccin peut être autorisé en urgence, mais la question est de savoir si la situation actuelle justifie cette utilisation expérimentale.

Le directeur du Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies (l’équivalent chinois du CDC américain) a raison quand il dit qu’il n’y a actuellement pas d’urgence à conduire des vaccinations de masse dans le pays. Cela pose aussi d’autres questions. Par exemple, est-il éthique d’administrer un vaccin expérimental à des populations parfaitement saines ? Il arrive qu’on demande aux gens de signer des documents avant de recevoir le vaccin, mais apparemment ces documents ne spécifient pas les risques associés à la vaccination.
 
Enfin, il y a un risque potentiel de symptômes sévères dus à la facilitation de l'infection par des anticorps (antibody dependent enhancement, ou ADE). Quand vous administrez un vaccin à une personne en parfaite santé, celle-ci court le risque d’avoir des anticorps déficients qui facilitent l’infection virale de cellules immunitaires et la réplication du virus.

Une pré-approbation par l’OMS de vaccins chinois pourrait par exemple justifier leur utilisation dans le monde entier.

Les essais cliniques de phase 3 ont en ce moment lieu à l’étranger. Sinopharm travaille avec les EAU, le Pérou, le Maroc et la Jordanie. Sinovac travaille avec le Brésil, l’Indonésie, la Turquie et le Bangladesh. Enfin, CanSino travaille avec le Pakistan, le Mexique et la Russie. Ces partenaires sont des pays en voie de développement avec de très grandes populations, mais les fabricants de vaccins chinois sont aussi stratégiques dans leurs choix de pays. 

Par exemple, ils n’ont pas sélectionné les EAU parce qu’ils ont beaucoup de cas, mais parce qu’il y a là-bas une main-d'œuvre originaire de 125 pays, ce qui fait que si une campagne de vaccination y est conduite avec succès, elle pourra toucher le monde entier. Cependant, quand SinoVac a choisi le Brésil comme partenaire pour les essais cliniques de phase 3, elle n’a pas réalisé qu’elle pourrait devenir la victime de tensions politiques internes. On dit que les récentes controverses autour du vaccin chinois dans le pays sont très liées à des considérations de politique intérieure, davantage qu’à des considérations sanitaires.

Selon les fabricants chinois, plus de 60 000 personnes ont déjà reçu le vaccin au cours des essais cliniques et aucune réaction adverse nette n’a été observée. Cependant, plusieurs pays occidentaux ont dit qu’ils n’utiliseraient pas les vaccins chinois ou russes. Les Chinois et les Russes ont promis le vaccin à des pays à revenus faibles et intermédiaires. Cela pourrait mener à une fracture mondiale dans l’utilisation des vaccins. C’est dans ce contexte que la décision de rejoindre Covax est intelligente. Elle permet de promouvoir l’utilisation de vaccins chinois à travers le monde, y compris dans les pays de l’OCDE. Une pré-approbation par l’OMS de vaccins chinois pourrait par exemple justifier leur utilisation dans le monde entier.

Cependant, la méfiance devrait rester de mise, même avec l’administration Biden. Tout d’abord, la Chine traîne un lourd passif de scandales liés à la sécurité et la qualité de ses vaccins. Deuxièmement, comme le montre la vaccination d’un grand nombre de gens avant la fin de la phase 3 des essais cliniques, elle n’a pas suivi de manière stricte les protocoles standards obligatoires.

La Chine dit qu’elle aura une capacité de production d’un milliard de doses d’ici à fin 2021. Selon le président Xi Jinping, le vaccin chinois sera un "bien public mondial". Ceci veut dire qu’elle partagera ses vaccins avec les pays les plus pauvres, qui ne sont pas en mesure de produire ces vaccins, mais aussi qu’elle pourrait partager la technologie de production du vaccin avec des pays qui ont une capacité de production comme le Brésil et l’Indonésie, et même certains pays de l’OCDE. C’est une approche réaliste dans la perspective d’élargir les capacités de production.

 

 

Copyright : Nicolas ASFOURI / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne