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04/02/2019

Le très encombrant M. Maduro

Le très encombrant M. Maduro
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Nicolás Maduro doit partir, et des élections présidentielles doivent avoir lieu au Venezuela. La cause est entendue. Mais pour y parvenir, Washington doit privilégier la voie diplomatique, en concertation avec l'Europe et le Canada.

"La Russie est très inquiète, l'Iran et la Turquie aussi. Les Etats-Unis et leurs alliés ne sont-ils pas en train de violer le droit international en imposant des sanctions économiques toujours plus sévères au Venezuela et en soutenant un président autoproclamé ?" Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, ne cache pas son plaisir. La Russie a beau jeu de dénoncer les "dérives" de Washington, elle qui - de la Crimée aux attaques chimiques intervenues sur le territoire britannique - était plutôt sur le banc des accusés.

Une fois de plus, le droit international est brandi - certains diraient détourné - au sein d'une épreuve de volonté politique entre deux camps. Nicolás Maduro n'a peut-être pas été réélu de la manière la plus indiscutable. Il n'en est pas moins "légalement" le président du Venezuela. Son opposant, le président de l'Assemblée nationale Juan Guaidó, s'est autoproclamé président par intérim. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouve le Venezuela sa position n'est pas "légale", mais n'est-elle pas "légitime" ? Cette distinction délicate est tout à la fois nécessaire et dangereuse. Il est si facile de tomber dans le domaine des émotions sélectives. Pourquoi intervenir au Venezuela et pas au Guatemala ou au Honduras ? Les peuples souffrent là aussi.

Comme dans un film qui serait présenté en accéléré, les images défilent sous nos yeux évoquant chaque fois des lieux et des temporalités différentes. Sommes-nous à Panama à la fin des années 1980, l'Amérique est-elle sur le point d'intervenir militairement - via la Colombie ou non - pour renverser Nicolás Maduro, comme elle l'avait fait de Manuel Noriega ? Sommes-nous en train d'assister à une version "latino" des événements qu'a traversé la Libye au début des années 2010, et qui ont mené le pays vers le chaos, à travers la lutte entre deux incarnations de l'autorité ?

Un parfum de guerre froide

Ce qui est certain, c'est que la crise en cours au Venezuela a un incontestable parfum de guerre froide. L'Amérique y retrouve son instinct "universaliste" et interventionniste et apparaît aux côtés du Canada, héritier et défenseur du "devoir de protéger". Aux côtés aussi, de la plupart des pays d'Amérique latine, à commencer par le Brésil, sans oublier la grande majorité des pays de l'Union européenne. Moscou elle, dans son soutien au régime Maduro, retrouve dans la région, une centralité qu'elle n'avait plus eue, depuis l'époque de son soutien indéfectible à Cuba.

De Téhéran à Caracas, l'arme des sanctions semble avoir remplacé l'usage de la force au sens classique du terme.

Mais ces comparaisons sont trompeuses. L'Amérique de Trump n'est pas celle de George H. Bush. L'usage de la force n'est pas exclu, bien sûr. Washington l'a déjà utilisé contre la Syrie dès 2017. Mais au moment où l'Amérique retire ses contingents du Moyen-Orient, envoyer des troupes au Venezuela peut apparaître comme une méthode du "monde d'hier". Il est d'autres méthodes moins coûteuses et tout aussi efficaces à terme pour provoquer un changement de régime.

De Téhéran à Caracas, l'arme des sanctions semble avoir remplacé l'usage de la force au sens classique du terme. Mais Donald Trump est si imprévisible. Dans sa tête, considérations de politique intérieure et visions stratégiques se confondent un peu trop. Appuyer le président autoproclamé Juan Guaidó, n'est-ce pas aussi se "fidéliser" les suffrages des exilés latinos, particulièrement nombreux en Floride ? Défier Poutine, n'est-ce pas répondre indirectement à toutes les accusations de relations "trop étroites" avec la Russie ?

Une double malédiction

Enfin, et surtout, le Venezuela n'est pas Cuba ou Panama. C'est devenu une aberration qui serait grotesque, si elle n'était tragique. Il y a plus de généraux (1.200) dans l'armée du Venezuela que dans celle des Etats-Unis. Une inflation de galons d'or censée fidéliser une armée qui est l'ultime rempart du régime. Un dixième de la population ou presque a fui le pays et son mélange de misère et d'insécurité absolue, de lutte contre la faim et d'oppression. L'inflation y atteint le niveau qui fût celui de la République de Weimar à la fin des années 1920.

Le Venezuela combine pour son malheur la malédiction du pétrole et celle du continent latino-américain. Plus de 90 % de la richesse provient d'une seule ressource, toujours plus mal exploitée. Comment penser l'après-pétrole quand la production est tombée en 2019 au niveau qui était le sien dans les années 1940.

Charisme et incompétence

Sur un plan politique et social, on retrouve un phénomène présent depuis longtemps - certains diraient depuis toujours - de "trahison des clercs" pour reprendre la formule de Julien Benda. Au Venezuela, il existait hier des élites cultivées qui se comportaient, se comparaient et de fait se sentaient très largement, comme des Européens. Le problème est que leur raffinement et leur richesse ne s'accompagnaient pas d'un sens moral équivalent (ou si rarement) et qu'elles étaient aussi corrompues que raffinées. Leur aveuglement porta Chavez au pouvoir.

Pendant près de 14 années le charisme du leader masqua [...] la corruption, l'autoritarisme et l'incompétence absolue du régime.

Pendant près de 14 années le charisme du leader masqua - de moins en moins bien avec le temps - la corruption, l'autoritarisme et l'incompétence absolue du régime.Avec l'arrivée de Maduro, le pouvoir était nu. La Révolution dite "bolivarienne", mélange de nationalisme et de socialisme, ne pouvait plus faire illusion.

Dans le contexte explosif que connaît le Venezuela, quels sont les objectifs que doit poursuivre le monde de la démocratie libérale ? Le premier est, sans la moindre hésitation, de dépasser le statu quo, sans verser dans la guerre civile. Maduro doit partir, il a plus que fait la preuve de son incompétence et de son illégitimité. Le peuple doit revenir aux urnes dans des élections, présidentielles et non législatives, qui bénéficieraient du contrôle d'observateurs issus de la communauté internationale (l'ONU) ou de l'environnement régional latino-américain. Les Etats-Unis se doivent de concerter leur action diplomatique avec leurs partenaires et rivaux. Sur ce plan le rôle du Canada et de l'Union européenne est essentiel. Le départ de Maduro ne doit pas être perçu comme le retour des "gringos".

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 01/02/19).

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