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16/11/2021

Le plan France 2030 sera-t-il efficace ?

Trois questions à Aloïs Kirchner

Le plan France 2030 sera-t-il efficace ?
 Aloïs Kirchner
Expert Associé - Industrie

Au lendemain de la crise de la Covid-19, qui a profondément ébranlé l’appareil productif français, l’heure semble être assurément à la relance. Emmanuel Macron dévoilait ainsi le 12 octobre dernier le plan France 2030, au cours d’un événement rassemblant Gouvernement, étudiants et acteurs de la vie économique française. Doté d’une enveloppe de 34 milliards d’euros sur cinq ans, ce plan a pour objectif de stimuler l’activité industrielle au sein de l’Hexagone, tout en prenant en compte la nécessité d’une décarbonation rapide et profonde de notre économie. Pour l’Institut Montaigne, Aloïs Kirchner est revenu sur les principales caractéristiques du plan France 2030, ainsi que sur ses limites et sa signification à quelques mois des échéances électorales de 2022.

En quoi le plan d'investissement de relance "France 2030" du gouvernement diffère-t-il des autres plans de relance adoptés au sein de l’Union européenne ? Quelles sont les principales différences avec les plans de relance présentés au cours des dernières décennies ?

Le plan "France 2030" n’est pas véritablement un plan de relance. Il s’agit d’un plan d’investissements, qui se projette bien au-delà des horizons de la crise et prévoit 34 milliards d’euros d’investissements sur la période 2022-2027 pour des questions liées à l’innovation, au transfert de technologies et à l’industrialisation de ces innovations dans des secteurs stratégiques. Ces montants s’ajoutent budgétairement aux 20 milliards d’euros du quatrième programme d’investissements d’avenir qui avait été acté en loi de finances pour 2021. Au total, en comptant les engagements déjà effectués en 2021, ce sont environ 7 milliards d’euros par an qui restent à engager sur la période 2022-2027.

Ce plan est exceptionnel par rapport aux précédentes vagues d’investissement dans l’innovation et l’industrie, et ce à double titre.

  • Par son ampleur, qui est sans précédent : dans les dernières décennies, le plan le plus important étant le premier programme d’investissement d’avenir, issu de la commission Juppé-Rocard (le "grand emprunt" de 2010). Au global, ce plan a permis d’injecter environ 25 milliards d’euros sur 6 ans. Le rythme d’investissements est ici quasiment doublé !
     
  • Par son orientation : là où le "grand emprunt" a servi pour plus de moitié à mettre à niveau notre système d’enseignement supérieur et de recherche, le plan France 2030 consacre l’essentiel de ses soutiens à l’innovation dans dix secteurs clairement identifiés, et assume une prise de risque pour amener ces innovations jusqu’au marché.

Le fonctionnement de ce plan de relance est-il suffisamment détaillé, ou sa gouvernance mérite-t-elle des clarifications ? Existe-t-il un risque de mise en péril de l'efficacité du plan ?

Concernant la gouvernance de ce plan, tout ou presque reste à bâtir. 

Ce plan est exceptionnel par rapport aux précédentes vagues d’investissement dans l’innovation et l’industrie.

Le gouvernement peut, certes, s’appuyer sur les équipes qui mettaient en œuvre jusqu’ici les programmes investissements d’avenir (le SGPI, les ministères, ainsi que les opérateurs ANR, Bpifrance et ADEME). Mais ces équipes sont surtout habituées à piloter des programmes génériques - sur la base d’appels à projets, au niveau de la recherche universitaire ou de programmes de R&D de grands groupes s’inscrivant dans le temps long - ou bien à soutenir des startups dans les premières phases de leur développement. 

Le défi ici va être de soutenir des projets potentiellement très disruptifs, pour aller très vite vers le marché, avec donc des investissements qui doivent être massifs et très rapides, pour concurrencer les meilleurs acteurs mondiaux. C’est le savoir-faire d’agences comme la DARPA, par exemple, ou ce que les États-Unis ont aussi réussi sur le développement des vaccins et traitements contre le Covid-19. Or, nous ne disposons pas vraiment aujourd’hui de cette compétence et de ce type d’organisation en France.

Il y a donc un risque, qui constitue aussi une opportunité. Pour la première fois, on met des moyens qui sont à la bonne échelle : 7 milliards d’euros par an, là où le budget de la DARPA, par exemple, est de l’ordre de 3 milliards d’euros par an, et où le budget du conseil européen de l’innovation - EIC - se limite à 1,5 milliards d’euros par an. Il faut maintenant imaginer la bonne organisation pour être capables d’investir vite et bien. Si l’on s’y prend correctement, l’occasion est unique de reconstruire en France une compétence de politique industrielle adaptée au XXIème siècle.

Le recrutement des bons spécialistes sera un point particulièrement important, qui pourrait être rendu difficile par les règles qui pèsent sur l’emploi public, en particulier en matière de rémunérations. Les règles déontologiques qui s’imposent aux agents publics et interdisent à ces derniers de travailler pour des entreprises qu’ils ont contribué à soutenir pourrait également être un frein. Il faudra imaginer un cadre qui assure la transparence et la justesse des décisions, tout en conservant l’attractivité et l’agilité nécessaire pour des projets soumis à une concurrence internationale féroce.

Si l’on s’y prend correctement, l’occasion est unique de reconstruire en France une compétence de politique industrielle adaptée au XXIème siècle.

Quelle est la signification politique de ce plan pour Emmanuel Macron à moins d'un an de l'élection présidentielle de 2022 ?

Il est certain que, pour un président sortant, s’engager pour les six prochaines années a un sens politique particulier. 

Quelque part, Emmanuel Macron dévoile là son programme en matière de politique industrielle : réindustrialiser la France par l’innovation. Il existe un certain consensus transpartisan sur ces enjeux, donc il est peu probable que ce programme soit annulé si un autre candidat est élu. Mais ses contours pourraient être remis en cause, et cela pourrait ainsi faire peser un risque sur le démarrage rapide de ces investissements.

Par ailleurs, ce plan ne règle pas tout. S’agissant d’industrie, il reste en France un énorme enjeu de compétitivité coût, d’une part, et de formation en sciences et technologie, d’autre part. Ce plan devra donc être complété par d’autres mesures si l’on souhaite de manière crédible permettre à la France de tenir son rang en matière industrielle et d’innovation.

 

Copyright : Ludovic MARIN / POOL / AFP

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