Le monde a effectué un voyage dans le passé
Le paradoxe est que Poutine vient de se faire le meilleur avocat de l'argumentaire défendu par Washington. Comme aurait pu le faire un aimant hyper puissant, le despote russe a rapproché les deux rives de l'Atlantique. Il y a quelques mois encore, les Européens pensaient s'unir en matière de défense et de sécurité pour compenser le déclin relatif, le retrait progressif d'une Amérique aux tendances isolationnistes. Une Amérique qui ne regardait plus le monde qu'à travers le prisme de sa rivalité avec la Chine.
Depuis le 24 février et l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le monde a effectué un spectaculaire voyage dans le passé. Si les circonstances n'étaient pas aussi tragiques, l'auteur de ces lignes aurait presque le sentiment d'avoir rajeuni d'un demi-siècle. Tout se passe en effet comme si le retour d'images directement sorties de la seconde guerre mondiale, nous projetait paradoxalement dans le monde de la Guerre froide. L'Europe est redevenue le champ principal de la confrontation entre deux systèmes et le "méchant principal" est comme hier, non pas l'URSS, mais sa version contemporaine, la Russie.
L'Ukraine est une démocratie, la Russie une dictature
À situation égale, réponses similaires. Les Européens doivent désormais, comme c'était le cas hier, s'unir aux côtés des États-Unis pour faire face à la menace russe. Mais parce que cette menace apparaît plus réelle et plus immédiate, parce que leur indignation devant le comportement de la Russie se teinte de peur légitime pour eux-mêmes, les Européens doivent enfin se résigner à dépenser beaucoup plus pour leur défense.
De fait Poutine a (temporairement au moins) réinventé l'Occident. Il n'a pas seulement rappelé aux Ukrainiens qu'en matière d'identité, la dimension politique est au moins aussi importante que la dimension culturelle. Les différences linguistiques, religieuses, historiques entre la Russie et l'Ukraine peuvent être complexes, incertaines mêmes. Sur le plan politique elles sont éclatantes, et ce surtout depuis le 24 février 2022. L'Ukraine est une démocratie. La Russie une dictature. Poutine restera, sur ce point, comme le grand clarificateur sinon le grand simplificateur de l'Histoire.
Poutine a déjà perdu la guerre, mais il peut encore entraîner le monde vers la catastrophe. Le discours qu'il a tenu il y a une dizaine de jours dans un stade de Moscou évoque de manière effrayante, celui tenu par Joseph Goebbels en 1943 au Sport Palast de Berlin. Il était déjà évident que l'Allemagne allait perdre la guerre. Mais le public, comme hypnotisé, communiait encore derrière l'illusion tragique créée par le régime et sa propagande.
Avec l’aimable participation des Echos, publié le 27/03/2022
Copyright : Brendan SMIALOWSKI / AFP
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