Tous les quinze jours, Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères, nous propose un regard décalé sur l’actualité internationale. Nourris d'une grande variété de sources officielles, médiatiques et universitaires, ses décryptages synthétisent les grands enjeux du moment et nous invitent à poursuivre la réflexion en compagnie des meilleurs experts étrangers. Cette semaine, le partenariat russo-chinois.
À peine conclu, début février, le partenariat russo-chinois montre ses limites depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui affaiblit au profit de Pékin les positions russes en Asie centrale et met en question leur coopération dans cette région stratégique qu’est devenue l’Arctique.
Les limites d’un partenariat qui se veut exemplaire
Sa situation géopolitique, ses ressources et la structure de son commerce extérieur font que la Chine ne peut être considérée par la Russie comme une menace sur le long terme, estime Timothée Bordatchev. Elle est notre "allié objectif dans la destruction du système néocolonial, établi par l'Occident", ajoute ce promoteur du "pivot asiatique" de la Russie. Aussi, l'alliance de facto Moscou-Pékin est-elle "la stratégie la plus justifiée non seulement pour garantir notre survie, mais pour promouvoir nos objectifs et renforcer notre position sur la scène internationale". La relation sino-américaine prend "un tour antagonique", alors qu'il n'y a "aucun motif de conflit" entre la Chine et la Russie, selon cet expert du club Valdaï. Au contraire, Pékin assure les "arrières" de la Russie dans ses efforts pour rétablir son influence régionale, en Europe orientale, au Moyen-Orient, dans le Caucase et en Asie centrale. On peut penser, écrit Timothée Bordatchev, que le rapprochement russo-chinois est l'une des raisons qui ont amené Washington à "mettre des bâtons dans les roues de la politique russe en Europe", ce qui aurait conduit à la crise ukrainienne. La Russie, comme la Chine, lutte contre l'hégémonie occidentale, et si Pékin ne la soutient pas, l'Occident pourra concentrer toutes ses forces sur la Chine, avance Ivan Zouenko, expert du MGIMO. Ambassadeur de Russie à Pékin pendant une décennie (2013-2022), Andreï Denissov se montre plus nuancé. "Parler de soutien n'est pas vraiment approprié", admet-il, "même si elle le voulait", la Chine ne pourrait se le permettre. C'est aussi pourquoi "nous ne sommes pas alliés". De ce fait, Pékin "adopte vis-à-vis de la politique actuelle de notre pays une position neutre".
En réalité, le comportement russe, destructeur de l'ordre international, diffère de l'attitude chinoise, soucieuse de stabilité, et qui cherche à investir les organisations multilatérales. Au-delà de la mise en cause d'un ordre unipolaire dominé par les États-Unis, objectif partagé par Pékin, Moscou conteste le droit à l'existence de l'État ukrainien et entend redéfinir l’ordre de sécurité européen. Il reste, observe Alexander Gabouev, que Moscou et Pékin se soutiennent mutuellement dans les organisations internationales et partagent une approche commune sur nombre de questions globales, comme le contrôle d'internet. Leurs économies sont complémentaires. Riche en matières premières et en énergie, exportatrice d’armes, la Russie a besoin de technologies et d'investissements, que peut lui apporter la Chine. Depuis 2014, sa part dans le commerce extérieur russe est passée de 10 à 18 % et la dépendance économique de Moscou envers Pékin est appelée à croître, accentuée par le recours au Yuan dans les échanges bilatéraux. D'ores et déjà, la Russie a dû accepter d'importants rabais dans ses fournitures d'énergie. Pour assurer sa survie, le régime de Vladimir Poutine pourrait aussi être contraint, estime Alexander Gabouev, de réduire ses exportations d'armes à l'Inde et au Vietnam et d'apporter un appui plus ferme aux positions chinoises dans les mers du Sud et à Taïwan.
Le soutien très mesuré de la Chine dans le conflit russo-ukrainien
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