Pour éviter qu'à l'instar de l'Allemagne des années 1930, la Russie ne soit taraudée par l'humiliation et le ressentiment, et que soit enfin surmontée la "catastrophe russe" - synonyme de dégradation intellectuelle et morale, d'oubli des valeurs de liberté, de culte de la force et de prédominance du sentiment impérial - celle-ci doit, à l'instar de la RFA, être intégrée dans les normes et structures occidentales, plaide aussi l'économiste libéral Vladislav Inozemtsev.
Cela dit, rappelle Leonid Bershidsky, la démocratisation de l'Allemagne et du Japon a réussi, parce qu'en 1945 ces pays ont été occupés et démilitarisés. D'après Timothy Garton Ash, la "pire chose que nous puissions faire c'est de pousser à des négociations de paix avec Vladimir Poutine, la meilleure chose à faire pour la paix c'est d'accroître notre soutien militaire, économique et humanitaire à l'Ukraine, afin qu'elle soit, un jour, en mesure de négocier en position de force". Si la Russie devait conserver les territoires qu'elle occupe actuellement, Vladimir Poutine pourrait se prévaloir d'avoir partiellement restauré la Novorossia de Catherine II et accréditer l'idée que "l'agression armée paie". Depuis le début de la "mobilisation partielle", les livres sur l'Allemagne nazie connaissent un véritable engouement, note Ivan Kurilla, signe, d’après lui, d'un intérêt nouveau du public russe pour le sort des Allemands sous le III Reich, qui "commencent à s'identifier à leurs anciens ennemis", ce qui remet en cause le récit officiel véhiculé depuis des décennies. Ces experts s'accordent cependant à penser que la voie qui mènera les Russes, comme les Allemands après 1945, à se reconnaître, non plus comme victimes mais comme coupables de crimes, sera longue et difficile. "Dans les années 1990, la Russie a tenté d'éliminer par elle-même les conséquences du stalinisme - et a échoué", observe Leonid Bershidsky. Une "défaite de la Russie en Ukraine est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour un renouveau", souligne Ralf Fücks. Un travail de mémoire douloureux sur l'histoire russe, faite de violences à l'intérieur et hors des frontières, est nécessaire, selon lui, de même que le développement d'une conscience citoyenne sur les droits et devoirs, la réforme du système carcéral et de l'armée, aujourd'hui incubateurs de violence. En Russie, rappelle l'ancien président de la fondation Heinrich Böll, les défaites militaires ont souvent engendré réformes et révolutions.
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