Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine et les déboires de l'armée russe, l'aile nationaliste presse le Kremlin, qui misait sur une guerre-éclair, de décréter la mobilisation, ces bloggers sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux. Après l'élimination de l'opposition libérale, la mouvance nationaliste et belliciste pourrait devenir l'un des problèmes majeurs pour les autorités russes, car Poutine ne la considère pas comme un adversaire idéologique agissant au profit de ses ennemis étrangers, explique Tatiana Stanovaya. D'après la politologue, de nouveaux échecs militaires, à Kherson par exemple, vont creuser les clivages existants et instiller le doute sur la capacité de Poutine à contrôler la situation.
Paix improbable, défaite impossible
"Poutine ne peut gagner, il ne peut pas non plus se permettre de perdre, aussi utilise-t-il de la chair à canon", résume Andreï Kolesnikov, ce faisant, "il oublie que la principale menace pour son pouvoir ne provient sans doute pas de l'opposition politique (...), mais des Russes ordinaires, qui ont longtemps soutenu son régime". Le pays se prive d'une partie importante de sa jeunesse, qui émigre, le régime actuel est de plus en plus dépendant du soutien des agents publics ("Бюджетники"), ceux qui sont acheminés sur la Place rouge pour les meetings officiels et qui cherchent à échapper à la conscription, les administrations et les entreprises présentant au ministère de la Défense des listes pour exempter leurs employés de la mobilisation. Une montée des tensions régionales est perceptible dans les républiques périphériques non slaves (Caucase du Nord, Sibérie), particulièrement mises à contribution en Ukraine. Ces territoires sont très dépendants des transferts financiers du "Centre" qui, du fait des sanctions, va disposer de moins de ressources pour acheter la loyauté de la population.
Mais l'interrogation porte aussi sur l'attitude des élites (Siloviki et technocrates), jusqu'à présent solidaires de Poutine. La quinzaine de responsables, politiques et économiques, interrogés par Farida Rustamova et Maxim Tovkaylo, indique que le soutien à la guerre recueille peu de soutien au sein des élites russes, sans pour autant qu’on observe jusqu'à présent des signes de dissension. Ces responsables se montrent en revanche préoccupés par l’absence de consultation et dénoncent "un manque total de coordination. C'est une pagaille totale, Poutine dit à chacun une chose différente", ce qui vaut pour l'économie comme pour la conduite des opérations militaires. L'évolution négative de la situation conduit à une fuite en avant, analyse Tatiana Stanovaya. À la différence de V. Poutine, les milieux dirigeants ne considèrent pas l'Ukraine comme un "problème existentiel pour la Russie", ils s'interrogent sur "le prix qu'il est prêt à payer pour l'Ukraine". En l'absence de victoire, deux options subsistent, indique cette spécialiste des arcanes du pouvoir russe : une défaite, "dont les élites russes commencent à admettre la possibilité", qui emporterait le régime, ou une escalade nucléaire, qui ferait peser une menace sur toute l'humanité. La programmation budgétaire pour les années 2023-25 montre que le Kremlin se prépare à une guerre longue, le budget alloué aux "structures de force" (Défense, organes de sécurité) est en nette hausse, au détriment des dépenses d’infrastructure, d’éducation et de santé.
Copyright : Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
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