L’assurance-chinoise dont bénéficie le secteur énergétique russe se heurte aussi à des difficultés d’ordre matériel. Elle doit d’abord affronter un problème de volume. Les connexions actuelles possibles entre la Chine et la Russie une fois à pleine capacité (+ 31,5 milliards de m3 dans les prochaines années) sont loin de compenser une baisse généralisée des importations européennes de gaz russe telle que planifiée par l’UE (- 100 milliards de m3 pour 2023). Compenser cette différence impliquerait d’investir massivement dans de nouvelles infrastructures de connexion entre les deux pays et d’aller raccorder du gaz situé loin de la Chine - dans l’Arctique - actuellement réservé aux exportations européennes. Ce tour de force est programmé de longue date via le projet "power of Siberia II" et pourrait amener jusqu’à 33 milliards de m3 de gaz vers la Chine. Cependant, la construction de ce nouveau gazoduc implique des difficultés difficilement surmontables dans le climat actuel.
D’un point de vue technique tout d’abord, la construction de ces lourdes installations est directement dépendante de technologies occidentales - notamment des machines d’exploitation gazière allemandes - dont l’exportation est désormais sanctionnée et que ni les Russes, ni les Chinois ne maîtrisent seuls. De plus, les projets actuels d’extension des gazoducs vers la Chine sont limités régionalement (région de Yamal) et ne seront exploitables que dans de nombreuses années.
Enfin, construire ces installations coûteuses nécessite de disposer d’une équation économique viable. Or le faible coût attendu du gaz russe vendu à la Chine et le coût astronomique d’un projet si ambitieux rendent peu probable la viabilité du projet pour le monopole russe Gazprom. La Russie n’aura donc pas les moyens économiques de financer ces projets et, si Pékin en dispose, ils se borneront uniquement aux besoins chinois : et la Chine n’est pas dans la même situation d’urgence qu’une Russie qui doit aujourd’hui s’efforcer de remplacer les revenus européens le plus rapidement possible.
Sur cette base, il est évident que Vladimir Poutine n’avait pas envisagé la nécessité de faire aussi vite de la Chine un substitut à la quasi-totalité de ses exportations européennes d’hydrocarbures. Si Moscou devenait économiquement intégralement dépendant de Pékin, tombant dans un quasi "marché à un seul acheteur" pour ses ressources énergétiques, il ne s’agirait pas là d’une victoire stratégique pour la Russie. Au contraire, il y aurait alors un dommage collatéral lourd à payer pour les Russes : une forme de vassalisation économique opposée aux ambitions de grandeur de Vladimir Poutine. Et ce d’autant plus que ce soutien chinois ne serait pas à même de compenser les pertes actuellement encaissées par l’économie russe sous l’effet des sanctions occidentales.
Copyright : Noel CELIS / POOL / AFP
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