La démarche idéalisée et naïve d’un agenda réglementaire qui prétend ériger en norme une finance moralement irréprochable mais coupée des enjeux géopolitiques et des exigences de la défense de la démocratie est irresponsable. Elle doit être clairement abandonnée au profit de l’intégration de l’industrie de défense dans la transition vers une finance durable.
Face aux défis géopolitiques du 21ème siècle et aux menaces que les nouveaux empires autoritaires font peser sur les démocraties, l’institutionnalisation du divorce entre l’industrie de défense et la finance durable constituerait une erreur cardinale.
- Une erreur écologique. Comme l’illustre l’engagement des forces armées françaises en Guyane ou pour la protection des eaux territoriales, telle notre zone économique exclusive, la défense est un volet essentiel de la surveillance et de la sauvegarde des espaces protégés. Au-delà, les enjeux environnementaux sont déjà à l’origine de tensions fortes (usage de l’eau, accès aux ressources critiques pour la transition bas carbone, impacts des catastrophes climatiques et environnementales sur les sociétés) qui peuvent conduire à des confrontations voire des conflits.
- Une erreur économique. Le tarissement du financement de l’industrie de défense déstabiliserait un des rares pôles d’excellence français et une filière industrielle clé, qui compte 4 000 entreprises, représente 200 000 emplois de haute technicité et génère un chiffre d’affaires d’environ 15 milliards d’euros. Par ailleurs, l’innovation serait interrompue, alors même que les recherches et les technologies militaires irriguent largement le secteur civil. Les difficultés de financement de haut de bilan déboucheraient enfin sur la perte d’actifs et de technologies stratégiques au profit de nos compétiteurs, voire de nos adversaires.
- Une erreur financière. La disparition des financements de marché laisserait reposer toute la charge sur l’État, au moment où celui-ci est surendetté (la dette publique a progressé de 20 à 118 % du PIB depuis 1980) et se trouve confronté à la multiplication des demandes d’investissements publics, de la transition climatique à la santé et l’éducation, en passant par la police ou la justice.
- Une erreur politique et stratégique. L’affaiblissement majeur de l’industrie de défense accroîtrait notre dépendance aux technologies et aux équipements militaires des États-Unis, au moment où leur démocratie traverse une crise existentielle et où leur réassurance stratégique est fragilisée. Surtout, le signal de désarmement qu’adresserait l’Union européenne, au moment où la Russie s’engage dans une guerre de conquête sans précédent depuis 1945 et où se noue la confrontation entre régimes autoritaires et démocraties, constituerait un aveu de faiblesse et une forme de Munich de la finance.
- Une erreur morale. Le projet européen est un projet de paix et de développement mais aussi de défense de la liberté et de résistance aux régimes totalitaires ou autoritaires. Les pères de l’Europe avaient pleinement conscience qu’il n’y a pas de paix sans liberté, et pas de liberté sans capacité à la défendre. L’Europe n’a jamais été un simple projet territorial. Monnet, Schuman, Adenauer, Gasperi l’ont imaginée et construite autour des valeurs de la démocratie, au nom desquelles ils ont lutté contre les totalitarismes du 20ème siècle. La posture pacifiste recommandée aux démocraties face aux régimes autoritaires du 21ème siècle constitue aujourd’hui une faute morale, tout comme elle l’était dans les années 1930 face à l’Allemagne hitlérienne et dans les années 1950 face à l’URSS stalinienne.
Pour conjurer cette quintuple erreur, il est donc urgent de repenser la nécessaire intégration de l’industrie de défense dans le développement durable et l’agenda réglementaire européen. Et ce à trois niveaux.
Au niveau politique, le Conseil européen des 24 et 25 mars, qui examinera la Boussole stratégique de l’Union, fournira l’occasion d’une déclaration solennelle des chefs d’État et de gouvernement, qui devrait affirmer leur soutien à l’industrie de défense et garantir son accès aux financements de marché.
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