Le Maghreb affiche également un profil démographique favorable (6 % de plus de 65 ans), au point que l’on peut se demander si le confinement mis en œuvre dans ces pays était parfaitement justifié. Comment chacun des Etats concernés réagit-il à la crise ?
- Le Maroc a créé un fonds spécial de gestion du Covid-19 dont l’objectif est de financer un revenu de subsistance pour les plus pauvres, notamment venus du secteur informel. Ce fonds a été doté de moyens très importants à l’échelle du Maroc, 3 milliards d’euros, financés par l’État (1 milliard), l’Union européenne (540 millions d’euros), le roi lui-même (200 millions d’euros), l’Office chérifien des phosphates (300 millions) et toutes les grandes entreprises et grandes fortunes que compte le Maroc. L’État va mettre en place aussi un dispositif de chômage partiel et un revenu minimum mensuel de 80 euros environ par personne pour un ménage de deux personnes ou mois (120 euros pour un ménage de plus de quatre personnes).
- L’Algérie qui faisait partie des pays arabes gaziers et pétroliers riches a basculé au fil du temps du côté des pauvres, surtout quand le baril de pétrole vaut 25 dollars, alors que le budget de l’Etat a été bâti sur la base d’un baril à 60 dollars (et qu’il devrait valoir 110 dollars pour équilibrer le budget). L’Algérie n’a annoncé à ce stade aucun plan de soutien économique.
- La Tunisie (comme l’Algérie) n’a pas prévu de dispositif de chômage partiel mais un revenu minimum pour les plus pauvres. Elle bénéficie d’un don de l’Union européenne de 300 millions d’euros (0,8 % du PIB national).
Géopolitique : les crises continuent
Si l’on en vient à la problématique géopolitique proprement dite, la première question porte sur les conséquences de la crise sanitaire sur les crises en cours.
Risquons à ce sujet une première observation : à ce stade, la pandémie n’a pas changé les équations fondamentales des rivalités régionales. Par exemple, la fracture entre la Qatar et la Turquie d’un côté, les Etats du Golfe et l’Egypte de l’autre reste intacte ; et bien sûr, la confrontation entre l’Iran d’une part et les Etats-Unis et ses alliés régionaux de l’autre ne désarme pas, même si les Emirats arabes unis et Oman ont fait des gestes supplémentaires, de nature humanitaire, vis-à-vis de l’Iran. Pour l’instant, rien ne laisse penser que le Covid-19 va profondément remettre en cause les situations acquises.
A cela on peut ajouter deux remarques générales : la gravité de la crise, touchant les acteurs régionaux mais aussi les grandes puissances extérieures, devrait se traduire par une baisse générale de la conflictualité et donc une baisse des violences ; inversement, les mêmes conditions peuvent déclencher des prises de risques de la part d’acteurs opportunistes (groupes miliciens par exemple) ou de tel ou tel acteur voulant sortir de ce qu’ils percevraient comme une impasse stratégique (Iran ?). Sur le terrain :
- l’annonce d’une offre de cessez-le-feu par l’Arabie saoudite place peut-être le Yémen sur la carte des situations de crise qui pourraient voir une désescalade s’opérer du fait de la crise pandémique ;
- en Syrie, le cessez-le-feu à Idlib, bien que précaire, se trouve sans doute être plus pérenne (sous influence russe notamment) que cela n’aurait été le cas en l’absence de la crise sanitaire ; toutefois, la Turquie continue de renforcer ses moyens militaires à Idlib et le régime syrien a procédé aussi à des démonstrations de force ; dans les zones contrôlées par le régime, ce sont souvent des seigneurs de la guerre qui font la loi ;
- en Libye, il est difficile d’observer une vraie différence : la Russie et la Turquie, comme les acteurs locaux, continuent sur leur lancée. Le cessez-le-feu n’est pas vraiment respecté ;
- enfin, en Iran, et plus généralement dans les théâtres possibles de conflit irano-américain, voire irano-israélien, la politique au bord du gouffre continue : pas d’escalade pour l’instant mais résolution maintenue du côté de l’aile dure du régime iranien et de son équivalent à Washington.
Dans le même ordre d’idée, on peut assister en Irak et en Syrie à un basculement de pans entiers du territoire dans une véritable anarchie, propice à une résurgence encore plus marquée des centrales terroristes, dont Daesh.
Géopolitique : le grand jeu international
Arrivons à la seconde question géopolitique : le jeu de la rivalité entre grandes puissances. Il est tentant de dire là aussi que les fondamentaux ne sont pas affectés par la crise sanitaire. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de penser qu’au minimum cette crise devrait accélérer des tendances déjà à l’œuvre : le désengagement américain, si relatif soit-il, qui est bien connu ; et ce que l’on pourrait appeler "la baisse de rendement de l’investissement russe en Syrie". Sur ce dernier point, notons qu’en Syrie, même la Russie a atteint ses objectifs initiaux et devrait logiquement chercher à consolider ses acquis par un règlement international. Dans le Golfe, M. Poutine vient de subir un échec dans la bataille sur le prix du pétrole qui va certainement affecter son prestige régional.
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