À partir de 2009, la chasse au TTP qu’a menée l’armée pakistanaise a poussé ses membres à trouver refuge en Afghanistan. Certains y ont été arrêtés par les autorités de Kaboul. Les talibans ont commencé à les relâcher et bien des Pakistanais craignent aujourd’hui le retour des attentats qui avaient ensanglanté la “Pashtun belt”, mais aussi Lahore, Karachi et même Islamabad au tournant des années 2010. Le retour de cette forme de violence témoignerait de la faible influence du Pakistan sur les talibans, mais son absence pourrait aussi bien être l’indice d’une certaine évolution de la ligne politique du nouveau régime de Kaboul suivant laquelle frapper hors des frontières de l’Afghanistan se révèle trop coûteux au plan stratégique - une leçon tirée des suites du 11 septembre.
Au-delà de l’arène régionale que forment le triangle Inde/Pakistan/Afghanistan et de la “proxy war” qu’Indiens et Pakistanais se livrent en Afghanistan depuis un demi-siècle au moins, le retour des talibans pourrait modifier des équations plus globales. La relation Inde-États-Unis pourrait ainsi être affectée par la nouvelle donne. D’une part les Indiens reprochent aux Américains de les avoir exposés à une nouvelle menace islamiste en quittant l’Afghanistan précipitamment. D’autre part les Américains acceptent assez mal ce genre de réaction et s’inquiètent du peu d’implication militaire que New Delhi est prête à consentir dans leur région alors qu’ils ont fait de l’Inde un des piliers de leur stratégie dans l’Indo-Pacifique. Ces tensions passagères ne devraient toutefois pas remettre en cause le rapprochement de l’Inde des Occidentaux. En fait, les soutiens que les talibans sont en passe de trouver auprès, non seulement du Pakistan, mais aussi de la Chine, devraient accélérer ce processus. L’Inde devrait néanmoins être confortée dans son désir de diversifier ses partenariats occidentaux - une opportunité pour les Européens, et notamment les Français qui étaient déjà apparus plus fiables que les États-Unis de Donald Trump à bien des égards au cours de la dernière décennie.
En face, une autre coalition regroupant la Chine, la Russie, l’Iran et le Pakistan semble se solidifier. Le “Pays des Purs”, qui a offert un point d’appui aux Américains dans leurs lutte contre le communisme puis l’islamisme pendant des décennies, a probablement franchi une étape décisive dans sa prise de distance avec les Occidentaux, un processus dont les mots du Premier ministre Imran Khan saluant la victoire des talibans sont le symbole - ne s’est-il pas réjoui de voir l’Afghanistan “breaking chains of slavery” ? Reste à voir maintenant si Moscou va poursuivre son rapprochement avec Islamabad. Une telle évolution ferait de l’Asie du sud une des zones où la formation des deux nouveaux blocs antagonistes serait la plus marquée et où, du coup, les ingrédients d’une nouvelle guerre froide seraient réunis sur fond de “Belt and Road Initiative vs. Indo-Pacifique”.
Copyrights: SAHEL ARMAN / AFP
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