Dans l'affaire Khashoggi, le message ne saurait également être plus clair : dissidents ou simples critiques du régime, vous savez désormais le sort qui vous attend. Vous rêvez d'une "évolution démocratique" dans le monde arabe, je ne vous laisserai pas faire. Il ne faut pas confondre changements par le haut et révolution par le bas. Moi, MBS, je suis le maître absolu du tempo des réformes.
"Le tact dans l'audace, c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin". Impulsif, manquant de maturité peut-être, encouragé certainement par ses relations privilégiées avec Donald Trump et son gendre, Jared Kushner, le prince héritier saoudien a été trop loin. On ne fait pas disparaître impunément un journaliste éminent, saoudien certes, mais chroniqueur au Washington Post, et ce, dans un pays rival comme la Turquie.
Le crime, barbare dans son extrême brutalité, était aussi choquant que le choix de la cible. Aussi naïf aussi : comment ne pas avoir prévu que le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul était truffé de micros et de caméras permettant aux autorités turques de suivre en direct un meurtre dont elles allaient savamment et progressivement "distiller" les étapes ? Erdogan a beau jeu d'isoler ainsi son rival saoudien, tout en faisant passer le message indirect suivant : "En Turquie, on peut mettre des journalistes en prison, mais on ne les massacre pas et on ne démembre pas leurs corps, comme le font les Saoudiens." De surcroît, dix-sept ans après les attentats du 11 Septembre, le monde n'est pas prêt à accepter passivement l'arrivée sur un territoire étranger d'un "commando de la mort" saoudien. Le prince héritier, confiant dans la solidité de ses liens privilégiés et "familiaux" avec l'Amérique de Donald Trump, se croyait non seulement au-dessus des lois, mais aussi stratégiquement et économiquement invulnérable. Qui prendrait - comme l'a fait avec courage le Canada - le risque des sanctions saoudiennes ? "Ne me provoquez pas avec vos droits de l'homme, sinon vous ne ferez pas affaire avec moi". Mais l'Arabie saoudite a plus besoin de l'Amérique que l'inverse. Washington dispose aujourd'hui d'une indépendance énergétique, grâce à son pétrole et son gaz de schiste. Riyad dépend totalement pour son armée des pièces détachées américaines. L'équilibre entre les deux partenaires/alliés n'existe plus, pour peu qu'il ait jamais existé.
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