"This time it's different". Combien de fois après une tuerie dans une école ou un collège, ou l'homicide d'un "Noir" par un policier blanc, a-t-on entendu : "Cette fois ce sera différent" ? Et chaque fois - l'émotion dissipée, la tension retombée -, tout a recommencé comme avant, facilité par la vente libre d'armes - qui seraient considérées comme des armes de guerre ailleurs qu'aux États-Unis - ou par une culture fondamentalement raciste présente au sein de la police américaine.
Solitude intérieure
Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui ? La bêtise (on serait tenté d'utiliser un mot plus fort) et l'inculture sont toujours présentes. On ne change pas la nature humaine par un coup de baguette magique. Comment résoudre en 2020 un "problème noir" auquel l'Amérique ne s'est jamais véritablement confrontée depuis sa création ? Ce sont les "fondations de la Maison Amérique" qui sont branlantes, du traitement des Indiens à celui des Noirs, depuis la création de la République. Le contraste entre les principes universalistes de la Déclaration d'indépendance, qui s'ouvre sur la proclamation de l'égalité absolue entre les hommes, et la réalité de la condition faite aux Noirs - avant et après la suppression de l'esclavage - est tout simplement, aujourd'hui comme hier, trop grand. Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis, l'homme des Lumières, n'a jamais libéré ses propres esclaves.
Étudiant à Harvard au début des années 1970, j'avais été témoin du "problème". Dans l'Adams House, maison à laquelle j'étais rattaché, il y avait une "table noire" autoconstituée à laquelle les étudiants blancs n'étaient pas conviés. Mon statut de Français - et les positions critiques du général de Gaulle sur la guerre du Vietnam - m'avait valu un traitement d'exception. Je pouvais à l'occasion me joindre à leurs repas et partager leur solitude intérieure.
Reconnaître la profondeur et la spécificité historique et culturelle du problème éviterait sans doute de grossières erreurs d'interprétation. Comparer les "gilets jaunes" en France avec la communauté afro-américaine aux États-Unis, comme le font certains, n'est pas simplement une démonstration d'ignorance, sinon de mauvaise foi, c'est une insulte faite à la situation spécifique de la communauté noire en Amérique en dépit des conquêtes fragiles et toujours remises en question qui ont été les siennes.
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