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09/07/2018

L’accord nucléaire avec l’Iran - pour une stratégie à long terme

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L’accord nucléaire avec l’Iran - pour une stratégie à long terme
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Le 8 mai dernier, Donald Trump annonçait le retrait américain de l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA). Les Iraniens, malgré ce qu’ils avaient laissé entendre dans les jours précédant la décision américaine, ont fait le choix de rester dans l’accord, au moins de manière conditionnelle. M. Rohani d’abord, puis l’ayatollah Khamenei, ont indiqué que l’Iran continuerait à respecter ses obligations si les autres signataires et en particulier les Européens parvenaient à garantir le maintien des bénéfices économiques qu’ils attendaient de la mise en œuvre du JCPOA.

Vu de Téhéran, le volet économique du deal est sans doute important en lui-même, ainsi que pour des raisons de politique intérieure. Il s’agit aussi pour les Iraniens de fournir une justification à leur maintien dans l’accord, et par là de tenter une manœuvre d’isolement des Américains. Le discours de M. Pompeo énonçant les conditions américaines d’un nouvel accord avec l’Iran, et tout ce qui est venu depuis des Etats-Unis, ont achevé de les convaincre que la seule finalité de la stratégie de "pression maximum" américaine était le changement de régime à Téhéran.

De leur côté, les Européens, au plus haut niveau, ont fait part de leur détermination à résister aux sanctions secondaires américaines, afin de sauvegarder l’accord. Quelques semaines plus tard, la perception qui s’impose est que les réalisations pratiques ne sont pas à la hauteur des intentions. Les grandes sociétés multinationales ont annoncé les unes après les autres qu’elles se retiraient du marché iranien. Les mesures décidées par les dirigeants européens – révision des "blocking regulations", mise en place de véhicules financiers échappant à la juridiction américaine – ont du mal à se concrétiser. Une lettre solennelle a été adressée par les Ministres des Affaires étrangères et de l'Économie des E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) pour demander de Washington des exemptions aux sanctions américaines pour les sociétés européennes. Les signataires ne se font pas d’illusions sur leurs chances d’obtenir une réponse positive.

"En toute hypothèse, les Iraniens comme les Européens auraient tort de se focaliser exclusivement sur le volet économique et de s’enfermer dans le court terme"

La réunion des ministres des Etats signataires qui s’est tenue à Vienne vendredi 6 juin n’a pas modifié fondamentalement la donne. Elle a eu le mérite de montrer que la discussion continue. M. Rohani a visité à nouveau plusieurs capitales européennes. Les Iraniens, cependant, ne manquent pas de rappeler leur menace, sinon de sortir à leur tour du JCPOA, du moins de ne plus en respecter tous les termes, conformément à l’article 36 de l’accord.

S’ils estiment que leur première carte – le maintien conditionnel dans l’accord -  ne fonctionne pas, les dirigeants iraniens pourraient en effet recourir à une seconde carte, qui sera la reprise d’activités liées à leur programme nucléaire. Celle-ci interviendrait d’abord à un niveau compatible avec le JCPOA, puis à un moment ou à un autre dans des conditions contraires aux disposition de l’accord. Ils pourraient aussi limiter l’accès des inspecteurs de l’AIEA. Dans de tels scénarii, les Européens n’auront d’autres choix que de dénoncer l’attitude iranienne et de se résoudre à suivre les Américains dans le retour des sanctions - subissant ainsi une deuxième humiliation après le camouflet constitué par le retrait américain.

A quel moment pourrait-on en arriver là ? Une échéance importante pour les Iraniens sera sans doute les midterm elections américaines, qui auront lieu en novembre, peu de temps après la date où les sanctions américaines entreront pleinement en vigueur. Un affaiblissement de l’administration Trump pourrait les conduire à privilégier la patience stratégique.

En toute hypothèse, les Iraniens comme les Européens auraient tort de se focaliser exclusivement sur le volet économique et de s’enfermer dans le court terme. Ils doivent au contraire jouer le long terme. A ce stade, ce sont surtout les Chinois, et peut-être les Indiens et les Russes, qui peuvent résoudre le principal problème des Iraniens, à savoir l’enlèvement de leur pétrole. Cela n’exempte pas l’Europe de devoir faire preuve d’imagination pratique, notamment en matière bancaire (système d’échanges entre banques centrales par exemple). Son rôle essentiel est  quand même d’apporter une caution politique. Au-delà, la vraie bataille pour l’Europe n’est pas la protection des intérêts économiques iraniens, mais la résistance à l’extraterritorialité des lois américaines - dont l’Iran sera un bénéficiaire s’il respecte sa part du contrat. C’est une bataille qui prendra du temps.

"Le rôle des Européens devrait être de travailler avec les Américains pour les aider à formuler une politique de limitation de l’influence iranienne réaliste"

Par ailleurs, les Iraniens peuvent penser qu’ils disposent d’autres cartes, qui sont les cartes régionales : le Yémen, l’Irak, la Syrie, etc. Ils peuvent subir des reculs ici ou là – par exemple du fait de la connivence russo-israélienne en Syrie – mais ils sont en mesure d’absorber de tels revers et de s’en prendre dangereusement aux intérêts des Américains et de leurs alliés dans la région. La focalisation de l’approche américaine sur la question nucléaire laisse en réalité le champ libre à l’Iran sur le plan régional. Les acteurs régionaux sont persuadés que les Etats-Unis poursuivront leur mouvement de retrait au Proche-Orient. Les déclarations répétées de M. Trump sur son désir de retirer rapidement les forces spéciales de Syrie, l’annonce que les Américains abandonnent les rebelles dans le Sud du pays montrent aux Iraniens comme aux autres pays de la région que la partie se joue pour l’instant sans Washington.

Le rôle des Européens devrait être de travailler avec les Américains pour les aider à formuler une politique de limitation de l’influence iranienne réaliste, c’est-à-dire non pas axée sur le démantèlement du JCPOA, mais sur des actions dans la région. Ce n’est pas incompatible avec l’offre d’une négociation globale, telle que formulée par M. Macron, qui pourrait dans un premier temps offrir une plateforme flexible de dialogue entre l’Europe et l’Iran, avant de s’élargir à d’autres Etats de la région ou à des acteurs internationaux.

Enfin, la stratégie américaine de pression maximum aura peut-être un jour un effet déstabilisateur pour le régime iranien. Dès maintenant, il est clair que la société iranienne bouge. Les difficultés économiques qui vont s’accumuler ne peuvent que stimuler les mécontentements. En sens inverse, les pressions américaines ont eu pour effet immédiat de renforcer la cohésion des différents courants coalisés pour diriger la République islamique. N’y a-t-il pas des chances sérieuses qu’un changement d’administration à Washington se produise bien avant un changement de régime à Téhéran ?

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