En lâchant les Kurdes en Syrie, Donald Trump s'inscrit, hélas, dans la continuité de ses récents prédécesseurs Barack Obama et Georges W. Bush : avec, comme conséquence, celle d'affaiblir les alliés des Etats-Unis et de renforcer le pays qu'ils présentent comme leur ennemi juré, à savoir l'Iran des Mollahs. Peut-on avoir encore confiance dans le respect des alliances par Washington ? Nous sommes ici face à l'illustration presque parfaite de la déconstruction de l'ordre international d'après-guerre, écrit Dominique Moïsi.
"Intervenir aux Moyen-Orient fut la pire décision de l'Histoire des Etats-Unis", tweetait, il y a quelques jours, avec le sens de la nuance qu'on lui connaît, Donald Trump. On serait tenté de retourner et de compléter la formule. Pour le Moyen-Orient, le pire ne provient-il pas de l'alternance d'intervention coupable, puis d'abstention irresponsable de la part des Etats-Unis ?
En donnant comme il vient de le faire, de manière confuse et contradictoire, le feu vert à l'intervention des forces turques en Syrie, Donald Trump s'inscrit en fait dans la double continuité de George W. Bush et de Barack Obama. Il peut s'attacher, comme il le fait avec virulence, à dénoncer l'intervention des forces américaines et alliées contre l'Irak de Saddam Hussein en 2003, alors même que son régime ne détenait pas d'armes de destruction massive. Mais en 2019, avec l'intervention turque, comme ce fut déjà le cas en 2003 avec l'action des Etats-Unis, le seul résultat tangible de l'ouverture de ce nouveau front sera le chaos. Et le pays qui peut en profiter le plus dans la région sera, en 2019 comme en 2003, l'Iran des Mollahs.
Quelle étrange continuité. Les Etats-Unis semblent s'acharner à affaiblir leurs alliés et à renforcer le pays qu'ils présentent comme leur ennemi juré. Mais en 2019, ce ne sont pas seulement leurs alliés syriens kurdes qu'ils trahissent, c'est la notion même d'alliance. Après l'abandon spectaculaire des Kurdes, comment les alliés de l'Amérique ne pourraient-ils se sentir déstabilisés jusqu'au plus profond d'eux-mêmes, de l'Europe à l'Asie en passant par le Moyen-Orient ? Même en Israël, qui met en avant l'axe privilégié entre Trump et Netanyahu, l'abandon brutal des Kurdes ne passe pas. Et si nous étions les prochains à être ainsi abandonnés par Washington, se demandent les Israéliens ? On ne peut décidément compter que sur nous-mêmes.
Perte de confiance
Les fils que vient de rompre Donald Trump seront difficiles à retisser. La confiance se gagne lentement, et se perd très vite, de manière brutale et parfois définitive. Car le mot qui s'impose en 2019 dans le cas kurde est celui de trahison. Le bras armé de la résistance victorieuse à Daech en Syrie a été ces combattants kurdes qui ont fait par milliers le sacrifice de leurs vies pour que le sanctuaire terroriste - improprement qualifié de "Califat" par les extrémistes eux-mêmes - se réduise comme une peau de chagrin avant de presque disparaître. En milieu de semaine, un ancien de l'administration Trump faisait piètre figure sur la chaîne BBC World en essayant de justifier la décision américaine de "trahir les Kurdes". "Ils étaient nos alliés sans l'être pleinement", balbutiait-il. "C'était une alliance tactique, de circonstance, qui n'avait pas vocation à durer". Il y a des moments où l'excès de cynisme devient de la naïveté.
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