"Le tact dans l'audace c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin", disait Jean Cocteau. En promulguant une loi répressive et rétrograde sur l'homosexualité, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, a-t-il été trop loin ? Ou bien nous tend-il un piège, en choisissant délibérément une thématique sociétale chargée d'émotions ? Il peut se présenter comme à l'avant-garde d'une contre-révolution en matière de moeurs.
On pourrait résumer sa stratégie ainsi : "Soyons sérieux, vous n'avez guère réagi lorsque je me suis engagé dans un travail de sape systématique des fondamentaux de la démocratie libérale : équilibre des pouvoirs, indépendance de la justice, liberté de la presse, droits des migrants. Et maintenant, vous redécouvrez la centralité de la notion de l'Europe des valeurs à partir de la question de la place de l'homosexualité dans nos sociétés !"
De fait, tout se passe, comme si l'Union européenne, qui ne s'était guère émue des attaques systématiques et répétées du régime hongrois contre l'État de droit, se réveillait soudain, comme par un effet de rattrapage. La défense des grands principes du libéralisme politique paraissait bien abstraite, comparée aux droits des communautés LGBT.
Un Est toujours plus réactionnaire
Il y a un peu plus de vingt ans, en 2000, la question des valeurs semblait plus centrale. Alors que le parti d'extrême droite de Jörge Haider arrivait au pouvoir à Vienne, dans un gouvernement de coalition avec la droite, la question de l'exclusion de l'Autriche de l'Union européenne avait fait l'objet d'un vif débat. L'Autriche, un membre à part entière de l'Union, n'était-elle pas atteinte par une forme de gangrène politique incarnée par l'extrême droite ?
Pour éviter que la contagion ne gagne l'ensemble du corps européen, il fallait procéder à l'amputation du bras autrichien. Ce choix douloureux et radical ne fut pas retenu, et quelques années plus tard, le parti de Haider, entraîné par la chute de son leader, connut de très sérieux revers de fortune, avant de renaître sous des formes plus acceptables, au moins en apparence.
Quelles leçons peut-on tirer de ce passé récent ? Il n'y a pas si longtemps (un peu plus d'un siècle) l'Autriche-Hongrie ne faisait qu'un. En 2021, le contraste entre l'ex capitale d'un immense empire, Vienne, et celle de la nation magyare, Budapest, ne saurait être plus grand. Certes, Vienne donne toujours l'impression de flotter dans des habits trop grands pour elle. Mais la ville est ouverte à la modernité et curieuse de tout.
Sous l'ère Orbán, en dépit de la courageuse résistance de la partie la plus éclairée de sa population, Budapest ne vit plus - c'est le moins que l'on puisse dire - à l'heure de Vienne. Comme si par un mystérieux mouvement de plaques tectoniques, la ville qu'aimait tant Sissi impératrice d'Autriche s'était déplacée vers un Est toujours plus réactionnaire et éloigné du centre de l'Europe.
Une doctrine Biden
On peut penser que l'Union se réveille bien tard et que sa mollesse, ses hésitations et ses divisions, ont encouragé Viktor Orbán à aller toujours plus loin dans la provocation. Plus la situation sanitaire et économique de son pays est difficile, plus le Premier ministre hongrois cherche à consolider son camp pour se maintenir au pouvoir. Il utilise le bouc émissaire de l'étranger hostile, de l'Union envahissante qui entend imposer, non seulement ses lois, mais plus encore le "laxisme éhonté" de ses mœurs, à un pays fier de son comportement "traditionnaliste".
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