La perspective du Brexit aurait dû rapprocher encore plus Paris et Berlin. C'est tout le contraire : les deux puissances de l'Union européenne s'éloignent inexorablement l'une de l'autre.
C'était il y aura bientôt trente ans, en septembre 1989. Je faisais une présentation de géopolitique à Francfort devant une assemblée de banquiers et de financiers. Sans penser, bien sûr, que deux mois à peine après, le mur de Berlin allait tombé, je me livrais à des conjectures audacieuses. Les craquements se faisaient déjà sentir à l'est de l'Europe, tout particulièrement en Hongrie. Dans quelques années tout au plus, leur disais-je, il n'y aurait plus "qu'une" Europe réunifiée, et bien sûr, plus "qu'une" Allemagne.
Mes propos jetèrent un froid, mélange d'incrédulité et plus encore de réticences. Je sentis ce jour-là qu'en Allemagne de l'Ouest, au moins dans cette bonne ville de Francfort, si prospère, si contente de son sort, la réunification avec l'est de l'Allemagne était la dernière chose que l'on souhaitait. Pourquoi changer un statu quo si confortable ? Pourquoi prendre des risques financiers et politiques avec l'avenir ?
Je repense à ce moment en lisant la réponse d'Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) à Emmanuel Macron. La toute nouvelle cheffe de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), choisie par Angela Merkel pour prendre la tête du parti et demain sans doute celle du pays, ne dit, sur le fond, rien de bien nouveau, fidèle en cela à la doctrine de son parti. L'identité de l'auteur de la lettre est plus intéressante que son contenu. Passage de relais symbolique, ce n'est pas Merkel qui répond à Macron, c'est la "génération nouvelle".
Climat de défiance
Et, à bien des égards, le résultat est désastreux. Sous la plume d'AKK, les mots paraissent plus durs, les expressions plus négatives, la réitération des positions de la CDU plus brutale. AKK ne mâche pas ses mots. Au "manifeste grandiose" - c'est ainsi qu'est décrite en Allemagne la "lettre aux citoyens d'Europe" du président français -, elle oppose la démarche pragmatique et progressive de l'Allemagne. "Trop d'idées d'un côté, pas assez de l'autre", me disait, en confidence, un de mes amis allemands qui a joué un rôle politique important dans son pays.
Rejetant "l'étatisme et la centralisation à la française", donnant aussi l'impression de s'accommoder des politiques très hostiles à l'entrée des migrants en Europe, de certains gouvernements populistes, AKK va même jusqu'à la provocation. Elle suggère, en effet, que la France, tout à la fois, renonce à son siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU en faveur d'un siège pour l'Union européenne et abandonne Strasbourg comme siège alternatif des réunions du Parlement européen, au seul profit de Bruxelles.
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