On peut penser que M. Poutine, de son côté, est demandeur d’une amélioration de la relation avec Washington.
L’une des raisons en est que, face à ses difficultés intérieures, l’option de nouvelles "aventures extérieures" est moins prometteuse pour lui qu’en 2014-2015 : l’opinion russe est manifestement lasse des interventions dans le Donbass, en Syrie ou ailleurs. Dans son entretien avec M. Biden, le Président russe a proposé d’élargir le dialogue stratégique (au cyber, au contre-terrorisme, à une réunion du P5) et de relancer les liens économiques, par la création d’un "conseil d’hommes d’affaires" (ce qui supposerait au préalable la libération de l’homme d’affaire américain Michael Calvey, inculpé arbitrairement, comme notre compatriote Philippe Delpal, dans l’affaire Baring Vostock).
Le Président Biden a fait sur ces sujets, de sources américaines, une réponse d’attente. Il est à prévoir que les Américains s’orientent vers une politique "dure" vis-à-vis de la Russie - les attaques cyber de décembre dernier ont encore accru le sentiment antirusse à Washington ; cependant il n’est pas impossible que la politique russe de M. Biden offre une chance à un vrai dialogue avec Moscou. En effet, dans la mise en place d’une "grande stratégie" vis-à-vis de la Chine, les Américains ne peuvent pas complètement faire l’impasse sur la Russie.
Quelle connexion établir entre "l’affaire Navalny" et une éventuelle relance du dialogue russo-américain ?
- Si l’hypothèse est exacte que la prise en compte de ses difficultés intérieures entre en partie dans les choix de politique extérieure de M. Poutine - hypothèse à vérifier certes -, cela signifie que les Américains, et au-delà les Occidentaux, détiennent une forme de levier vis-à-vis de l’évolution du régime russe. L’expérience prouve qu’une conditionnalité trop rigide sur les questions de droits de l’Homme aboutit souvent au résultat inverse à ceux recherchés : ce fut le cas pour l’émigration des juifs d’URSS avec l’amendement Jackson-Vanik (1974) ; celui-ci rendit plus difficile au pouvoir soviétique de l’époque de pratiquer sous la contrainte une politique qu’il était prêt à mener dans la discrétion.
- Il serait donc urgent que les partenaires occidentaux de la Russie se demandent quels objectifs précis ils peuvent s’assigner et comment les atteindre. Cela apparaît d’autant plus nécessaire que la question de nouvelles sanctions va à nouveau se poser. Nous suggérerons qu’il est important qu’un degré de mobilisation élevé soit maintenu dans les pays occidentaux pour assurer une protection à Navalny lui-même et à ceux qui le soutiennent. Au-delà de ce premier objectif, une autre finalité de l’action occidentale pourrait être d’obtenir un arrêt de la dérive du régime de M. Poutine vers un surcroît d’autoritarisme, et cela sur des sujets précis - tels que la gouvernance d’internet et les libertés d’expression et de manifestation.
- Dans cette politique à définir avec soin, la lutte contre la corruption, centrale dans la plateforme d’Alexeï Navalny, doit figurer en bonne place. Avec des thèmes connexes - comme la lutte contre l’argent sale - ce sujet va sans doute faire partie de l’agenda de l’administration Biden dans son projet de sommet des démocraties. La question de la corruption va se diffuser dans de nombreux secteurs de la relation Russie-Occident : ainsi, le projet Nord-Stream II est sur la sellette plus que jamais ; or, Alexeï Navalny - toujours lui - a mis en lumière la personnalité du directeur général de l’entreprise : Matthias Warning, ancien de la Stasi et compagnon de route de Vladimir Poutine dans divers schémas de corruption depuis ses années de Dresde.
- Quelle articulation doit-il y avoir entre la politique américaine et ce que font les Européens ? Rappelons que la réaction européenne avait été beaucoup plus vive à l’empoisonnement de Navalny que la réaction de Washington ; l’administration Biden rejoint donc l’approche européenne. Il est probable cependant que les priorités et les moyens vont continuer à diverger entre les deux rives de l’Atlantique. L’important serait qu’existe une coordination stratégique sur la relation avec la Russie.
Enfin des interrogations reviennent périodiquement sur l’avenir de l’initiative, mal calibrée à vrai dire, qu’avait prise le Président Macron vis-à-vis de la Russie. L’analyse qui prédomine désormais en France est que celle-ci a échoué et doit être rangée dans un tiroir. Nous ne sommes pas totalement de cet avis. D’une part, tout connaisseur des affaires russes savait dès le départ que la France ne pouvait pas, par construction, "obtenir des résultats", faire bouger à elle seule la Russie de Poutine. D’autre part, le vrai test de l’initiative commence peut-être maintenant : une des questions qui se pose dans le nouveau contexte est celle des canaux qui permettent d’avoir une influence, au moins relative, sur les calculs des dirigeants russes. Il est clair que Vladimir Poutine et ses collègues ne sont intéressés que par ce qui vient de Washington, accessoirement, dans les bons jours, de Berlin. Mais si Américains et Européens jouent de nouveau groupés, la diversification des canaux peut se révéler utile.
Copyright : Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
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