Au regard des normes diplomatiques, il s'agit d'une bombe (jeu de mots non-intentionnel), et c’est sans doute à cela qu'un fonctionnaire britannique anonyme faisait allusion en promettant des décisions de nature à "faire écarquiller les yeux".
Au résultat, le monde pourrait commencer à voir le Royaume-Uni un peu plus comme il voit... la France, c’est-à-dire une puissance nucléaire impénitente et sans vergogne, qui n'hésite pas à proclamer l'augmentation de son arsenal nucléaire quelques semaines seulement après l'entrée en vigueur du Traité d'interdiction des armes nucléaires et quelques semaines avant la Conférence d'examen du TNP, un événement qui a lieu tous les cinq ans. Mais dans l'ensemble, la France, toujours désireuse de voir ses alliés assumer davantage leurs responsabilités dans la défense du continent, devrait accueillir favorablement cette contribution européenne à la sécurité globale de celui-ci. À Paris, le Royaume-Uni aura un ami, et la France gagnera un autre champion d'une plus grande transparence sur les arsenaux d'armes nucléaires.
Focus sur l’Indo-Pacifique
Le changement le plus important dans la posture déclarative du Royaume-Uni concerne la région indo-pacifique, qui a été mise en avant dans la Revue intégrée publiée mardi dernier au point d'être mentionnée plus de trente fois. Pourtant, ce que l'on appelle le "changement d'inclinaison" ("tilt") pourrait être une exagération, voire une erreur d'appellation. L'accent est mis sur le renforcement des liens commerciaux, notamment en cherchant à adhérer à l’Accord de partenariat transpacifique et à obtenir le statut d'observateur au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Sur les fronts de la sécurité et de la défense, le voyage inaugural du HMS Queen Elizabeth amènera le nouveau porte-avions britannique en Asie et, à plus long terme, le Royaume-Uni aura une présence permanente dans la région. Mais cette dernière restera modeste (seulement un navire de guerre).
La tentative du Royaume-Uni d'approfondir ses partenariats avec des pays amis dans la région, tels que le Japon, la Corée, l'Australie et l'Inde, reflète également les politiques de la France. Mais il reste à démontrer que Londres parviendra à avoir la "présence la plus large et la plus intégrée" de toutes les nations européennes dans l'Indo-Pacifique, notamment en approfondissant ses relations avec l'Inde - des indications pourraient être données à la suite de la visite en Inde du Premier ministre Johnson, son premier déplacement post-confinement, le mois prochain.
À propos du retour de la compétition entre grandes puissances, le Royaume-Uni s'est positionné de manière stratégique : tracer sa propre voie plutôt que d'être contraint ou défini par elle, et travailler avec ses partenaires quand il le peut. Envers la Chine en particulier, le ton de Londres est très similaire à celui de Paris (bien que le Royaume-Uni ait adopté une position plus ferme sur Hong-Kong et sur Huawei que la plupart des pays européens). Comme l’UE, tous deux considèrent la Chine comme un "défi systémique", mais aussi comme un pays trop grand pour être ignoré et avec lequel les canaux de communication doivent rester ouverts. Ils devront coopérer avec la Chine sur les questions mondiales, par exemple sur le climat et la biodiversité. Paradoxalement, c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes à Bruxelles continuent de soutenir l'accord global d'investissement entre l'UE et la Chine. Ils y voient un moyen de maintenir un dialogue régulier avec Pékin.
Ces objectifs n'incluent pas un "endiguement" assumé de Pékin, et les responsables britanniques insistent sur la nature indépendante de la contribution du Royaume-Uni à la sécurité dans la région - ce qui sera vu avec approbation par la France. Les Britanniques réaffirment leur engagement à faire respecter la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, également une priorité française essentielle. Dans l'ensemble, il serait difficile de conclure que l’approche de Londres est radicalement différente de celle de Paris
Une relation compliquée avec l'Union européenne
Le problème le plus épineux reste sans conteste l'absence de coopération structurée avec l'UE. Ironie du sort, la vision britannique de "Global Britain" présente des similitudes avec les ambitions de l'UE et, par défaut, de la France en matière de politique étrangère. Comme l'UE, le Royaume-Uni veut renforcer le pouvoir de la diplomatie réglementaire. Tous deux souhaitent investir davantage de ressources dans la recherche et l’innovation afin de mieux faire face aux menaces existantes de la cyberguerre, du changement climatique et des futures pandémies.
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