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07/05/2020

La psychiatrie à l’épreuve du Covid

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La psychiatrie à l’épreuve du Covid
 Jean-Victor Blanc
Auteur
Médecin-psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine

La crise sanitaire actuelle liée à l’épidémie de Covid-19 a des conséquences sur la prise en charge des patients atteints de troubles psychiques. Le confinement et l’isolement qui en résultent ont également des impacts visibles sur la santé mentale des citoyens. Quels sont-ils et comment y répondre efficacement ? Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre à l'hôpital Saint Antoine (Paris) et enseignant à Sorbonne Université, répond à nos trois questions.

Comment les services psychiatriques s'organisent pour répondre à la crise sanitaire actuelle ?

La crise liée au Covid-19, mais surtout les mesures sanitaires mises en place, ont obligé tous les acteurs du soins en santé mentale à une réorganisation. On distingue plusieurs axes.

  • Les hospitalisations en psychiatrie sont généralement assez largement marquées par des visites de proches et des permissions (sorties temporaires) du service, plus fréquentes que dans les autres disciplines médicales. Ces temps avec l’extérieur sont intégrés aux soins, car ils permettent d’affiner l’évaluation clinique quant aux possibilités de retour à domicile. Un patient atteint de dépression peut réussir à retrouver une certaine autonomie dans le service pour prendre soin de lui a minima par exemple, et se retrouver démuni lorsqu’il est seul chez lui quelques heures. Ce temps de transition entre le domicile et l’hôpital n’est à présent plus possible.
     
  • Certains services de psychiatrie ont consacré une partie de leurs ressources humaines et médicales aux soins pour les patients atteints de Covid-19. Ces situations complexes témoignent du fait que la collaboration entre service de soins somatiques et psychiques est plus que jamais précieuse et nécessaire en temps de crise sanitaire.
     
  • Pour les consultations, la très grande majorité des soins se fait à distance. L’intégration de la téléconsultation dans les soins psychiques, qui paraissait un objectif lointain, est devenue, par le décret du 16 mars 2020, une réalité.

L’intégration de la téléconsultation dans les soins psychiques, qui paraissait un objectif lointain, est devenue, par le décret du 16 mars 2020, une réalité.

  • Enfin, le recours aux services d’urgences pour les soins en psychiatrie a initialement décru : il s’agissait essentiellement de décompensations de pathologies sévères, comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire. Plus préoccupant, on assiste depuis la deuxième quinzaine d’avril à une augmentation continue de l’activité. Avec des motifs très variés, dont beaucoup sont étroitement liés à l’épuisement psychique dû au confinement, chez des personnes n’ayant pas nécessairement une vulnérabilité psychique au départ.

    Comment le numérique est-il utilisé pour faciliter les soins des personnes atteintes de troubles psychiques ?

    Les ressources consacrées au Covid-19 ont été majoritairement allouées aux services les plus prioritaires, comme les services d’accueil des urgences et la réanimation. Dans mon service, et pour la plupart de mes confrères dans le service public, c’est uniquement par téléphone que nous exerçons la téléconsultation. Au sein de la médecine libérale, il y a eu une adoption plus rapide de la visioconférence, notamment pour la psychothérapie où cela semble s’être généralisé, avec satisfaction pour les patients.

    Pour l’utilisation des autres dispositifs et applications, cela viendra peut être au cours des prochains mois. Car il va falloir apprendre à vivre avec, et continuer cette mutation sur le long terme. À condition que des moyens et une volonté politique puissent la soutenir.

    Plus largement, cette crise a aussi mis en évidence l’importance prise par les réseaux sociaux dans nos vies : sources de divertissement, de sociabilité mais aussi d’information. On a vu aussi le rôle majeur des personnalités publiques, notamment les célébrités, dans la diffusion et l’acceptation des messages de santé. Comme c’est un des axes sur lesquels je m’appuie dans mon travail de déstigmatisation des troubles psychiques ; avec mon livre Pop et Psy, j’ai observé cela avec grand intérêt.

    Les crises économiques sont associées à une augmentation des syndromes dépressifs et gestes suicidaires.

    Peut-on observer un impact du confinement sur la santé mentale de la population française ? Y'a-t-il des éléments de comparaisons avec d'autres pays ?

    Très peu de comparatifs reposant sur des données scientifiques solides sont possibles pour l’instant. Les études disponibles sur l’effet de la quarantaine ou du confinement concernent des populations spécifiques (le personnel soignant, une petite fraction de la population positive à un virus et isolée de ce fait) et donc difficilement inférable à un tiers de l’humanité.

    Ceci dit, si l’on raisonne par analogie, on peut prévoir que cette situation va être source de dégradation de la santé mentale de la population. Au-delà des effets propres du virus, psychiatriques et neurologiques, des deuils compliqués par les mesures sanitaires, et de l’inquiétude face à la pandémie, les crises économiques sont associées à une augmentation des syndromes dépressifs et gestes suicidaires. Les temps à venir s’annoncent donc comme un vrai challenge pour notre système de soins, déjà soumis à rude épreuve.

     

    Copyright : Cedrick Isham CALVADOS / AFP

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