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31/08/2018

La politique étrangère d’Emmanuel Macron – architecture et politique.

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La politique étrangère d’Emmanuel Macron – architecture et politique.
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Ses biographes décrivent souvent Emmanuel Macron comme un froid calculateur, doté d’un sens politique aigu. Il se montre aussi, notamment dans ses interventions orales, homme de convictions fortes, passionné par l’action mais aussi grand agitateur d’idées. C’est sous ce jour qu’il est apparu dans son intervention du 27 août à l’Elysée devant les Ambassadeurs et les Ambassadrices rassemblés pour leur traditionnelle conférence annuelle. 

L’exercice du pouvoir a évidemment renforcé sa familiarité avec les affaires internationales. Il sait de mieux en mieux de quoi il parle, constataient ses auditeurs à l’Elysée ce lundi. Enclin initialement à se défier des « postures moralisatrices », il n’hésite plus à assumer les principes qui guident l’action de la France : « nous n’avons pas à céder à […] ces fascinations que nous voyons poindre un peu partout à travers l’Union européenne, pour les démocraties illibérales ou pour une forme d’efficacité qui passerait par le renoncement à tous nos principes. Non. Notre sécurité passe par la réaffirmation de nos valeurs, des Droits de l’Homme, qui sont au fondement même de l’Union européenne ».

Sur un sujet qui a souvent (à tort) servi de test dans le débat sur le réalisme et les principes, à savoir la Syrie, le Président est allé plus loin qu’auparavant dans le rejet de Bachar al-Assad : « Nous voyons bien ceux qui voudraient, une fois la guerre contre Daech achevée, faciliter ce que d’aucuns appellent un retour à la normale. Bachar al-Assad resterait au pouvoir, les réfugiés de Jordanie, du Liban, de Turquie, retourneraient chez eux, et l’Europe et quelques autres reconstruiraient. Si je considère depuis le premier jour que notre premier ennemi est Daech et que je n’ai jamais fait de la destitution de Bachar al-Assad une condition préalable à notre action diplomatique ou humanitaire, je pense qu’un tel scénario serait néanmoins une erreur funeste. Qui a provoqué ces millions de réfugiés ? Qui a massacré son propre peuple ? »
 
Dans cet exposé devant les Ambassadeurs et Ambassadrices, le président a accordé cette année une place moins saillante au Proche-Orient. Il a indiqué qu’il allait revenir prochainement, avec des propositions concrètes, sur plusieurs sujets :  le Yémen, la crise dans le Golfe et les relations israélo-palestiniennes. Il a rappelé longuement la priorité que la France accorde à la crise libyenne – « je crois profondément à la restauration de la souveraineté libyenne et à l’unité du pays » – et réitéré sa volonté de préserver les acquis de l’accord nucléaire avec l’Iran à travers une renégociation générale des équilibres de la région. S’agissant de la Syrie, la ligne demeure de poursuivre la lutte contre le djihadisme, de chercher à assister les populations et de pousser une solution politique dite « inclusive ».
 
La trame de son discours, ce qui lui a donné son ton de gravité et conféré une indéniable portée, était surtout constituée par la prise en compte lucide de deux nouveaux facteurs qui « testent » (pour reprendre l’expression de M. Macron) notre politique : la montée des populistes en Europe et la crise du multilatéralisme, en raison notamment de l’attitude de l’administration Trump.

L’Europe

Dès son propos liminaire, M. Macron fixe avec clarté les données du problème : « La France a proposé une Europe qui protège, plus souveraine, unie et démocratique mais, dans le même temps, les extrêmes ont progressé et les nationalismes se sont réveillés. Est-ce une raison pour abandonner ? Certainement pas. Serait-ce une raison pour dire que nous avons tort ? Tout le contraire. Nous payons là plusieurs décennies d’une Europe qui, il faut le regarder en face, s’est parfois affadie, affaiblie, qui n’a peut-être pas toujours suffisamment proposé ».
 
Un peu plus loin, le Président marque ce qui doit être notre réponse : « ne rien renoncer de l’ambition exprimée il y a un an. Rien. Au contraire, apporter davantage de clarté et quelques angles, que je veux ici partager avec vous ». Le choix du mot « angle » n’est peut-être pas fortuit car c’est volontiers en architecte que raisonne le président Macron sur les affaires du monde.
 
On en donnera plusieurs exemples dans le champ européen. Pour lui, la crise politique qui se greffe sur la question des migrations doit être gérée par un meilleur équilibre entre la solidarité interne entre les pays européen et un meilleur contrôle aux frontières extérieures de l’Union, dans le respect du droit d’asile. A propos de la Turquie, il estime nécessaire de substituer le projet d’un partenariat stratégique à celui – devenu irréaliste et donc hypocrite – d’une adhésion. Même proposition de partenariat stratégique avec la Russie (certes, ces idées étaient déjà celles de M. Sarkozy, avec un argumentaire presque identique). Il refuse, par ailleurs, à l’heure du Brexit, d’envisager à ce stade des négociations d’adhésion avec des pays comme l’Albanie ou « tel ou tel autre pays des Balkans ».
 
S’agissant de sécurité – et de cette « autonomie stratégique de l’Europe » dont plus personne ne conteste la nécessité – le Président avance l’idée de débattre entre Européens d’une évolution de l’actuel article 42.7 du Traité de l’Union, qui pourrait devenir (le Président lui-même n’emploie pas le terme) un équivalent de ce qu’est l’article V pour l’Alliance Atlantique, c’est-à-dire une clause de solidarité militaire en cas d’agression. Il remet sur le métier le concept d’un réexamen de l’architecture européenne de sécurité et de défense. A cette fin, il préconise un « dialogue rénové sur la cybersécurité, les armes chimiques, les armements classiques, les conflits territoriaux, la sécurité spatiale ou la protection des zones polaires ».

« Même si M. Macron le dit avec beaucoup plus de lyrisme, c’est en retrouvant sa capacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens que l’Europe retrouvera grâce à leurs yeux. »

Le politique cependant n’est jamais très loin de l’architecte. Le Président insiste pour que la Russie soit associée à ce dialogue sur l’architecture de défense et de sécurité de l’Europe mais il ajoute aussitôt : « des progrès substantiels vers la résolution de la crise ukrainienne, tout comme le respect du cadre de l’OSCE – je pense en particulier à la situation des observateurs dans le Donbass – seront bien entendu des conditions préalables à des avancées réelles avec Moscou. Mais cela ne doit pas nous empêcher de travailler dès maintenant entre Européens ». Plus généralement, il rejette tout « renoncement » mais il prêche « l’humilité » : la mondialisation mal maîtrisée a fait resurgir la « psyché des peuples, c’est une bonne chose » et il faut en tenir compte. Au total, même si M. Macron le dit avec beaucoup plus de lyrisme, c’est en retrouvant sa capacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens que l’Europe retrouvera grâce à leurs yeux : «  je crois qu’il y a la possibilité pour un chemin qui permettra de faire pleinement percevoir à nos concitoyens que l’Europe, sur nombre de sujets qui les inquiètent, n’est pas simplement une partie de la réponse, mais le cœur de notre autonomie stratégique, le cœur de la réponse que nous pouvons apporter à nos peuples, et vis-à-vis de nos partenaires ».

La crise du multilatéralisme

Le Président ne dissimule pas que l’actuelle administration américaine porte une grande part de responsabilité dans la dégradation des cadres de la coopération internationale. Cependant, en politique, il défend sans état d’âme la relation de proximité qu’il entretient avec M. Trump. Et, en homme d’idées, il veut voir dans l’évolution de l’Amérique un symptôme d’un phénomène plus large, « la crise de la mondialisation capitaliste contemporaine et du modèle libéral westphalien multilatéral qui l’accompagne ». Ainsi, selon M. Macron, « la véritable question n’est pas tant de savoir si je vais prendre Donald Trump par le bras au prochain sommet mais bien comment nous allons collectivement appréhender ce moment de grandes transformations que nous vivons et auxquelles nos sociétés sont toutes confrontées ».
 
Pour le Président, « la réponse ne passe pas par l’unilatéralisme mais bien par la réorganisation de notre action autour de quelques biens communs stratégiques, et par la construction de nouvelles alliances ». Au titre des « biens communs stratégiques », M. Macron déroule les positions et propositions de la France sur la lutte contre le changement climatique, l’éducation, la culture et le savoir, la santé, l’espace numérique, enfin le commerce. Là encore l’architecte s’avance sur la scène, par exemple lorsque le Président indique qu’il a convié le 11 novembre, en marge des commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale, un groupe de travail sur la révision des règles de l’OMC, composé de l’Union européenne, des Etats-Unis, de la Chine et du Japon. Il rappelle que le même 11 novembre, il inaugurera la première rencontre du Forum de Paris sur la paix (ndr : dont l’Institut Montaigne est membre fondateur). Ce Forum, indique le Président, « vise à renforcer notre action collective en associant Etats et organisations internationales, au premier rang desquels l’ONU, avec la société civile : les ONG, les entreprises, les syndicats, les experts, les intellectuels, les groupes religieux. La gouvernance internationale doit se décliner concrètement, et chaque citoyen peut y prendre part ».
 
Mais c’est au regard des « nouvelles alliances » que l’architecte politique se montre le plus imaginatif. A titre national, il développe la nécessité pour la France de davantage s’investir d’une part sur l’axe « indo-pacifique (Inde-Australie-Japon) », complémentaire évidemment d’un dialogue dense avec la Chine (où le président de rendra chaque année), et d’autre part dans le dialogue avec l’Afrique. L’Afrique est l’un des sujets sur lequel M. Macron se montre passionné, défendant ses propos souvent critiqués sur la fécondité des femmes africaines, ou élevant le débat sur les vrais enjeux de la relation franco-africaine : « Ce que nous construisons touche par touche, c’est en quelque sorte la conversion d’un regard réciproque. Celui qui va permettre à la France de regarder différemment l’Afrique mais à l’Afrique également de se dire différemment, de raconter son propre passé, son propre présent différemment à la face du monde, et de construire un nouvel imaginaire entre la France et le continent africain ».
 
Sur le plan de la gouvernance globale, l’opportunité et la difficulté que représente pour la France la présidence du G7 en 2019 (suivie par les Etats-Unis en 2020) n’ont pas échappé au Président de la République. Il ne cède ni aux injonctions de Donald Trump, qui voulait une réintégration dans ce club de la Russie, ni aux sirènes de ceux qui pensent que devant le repli des Etats-Unis, l’avenir passe par la reconnaissance d’un rôle de leader pour la Chine, ni non plus à la facilité qui aurait consisté à préserver le statu-quo (en laissant dans ce cas au président Trump l’année suivante le soin de démolir cette enceinte de concertation créée à l’initiative de M. Giscard d’Estaing). Il propose le maintien du « format » d’un groupe homogène sur le plan du développement économique et de l’adhésion à la démocratie (l’actuel G7) mais orientant son activité différemment : le G7 proposerait un dialogue permanent avec la Chine sur le climat et le commerce, avec l’Inde sur le numérique, avec l’Afrique (toujours elle !) sur la jeunesse. Si cette proposition était acceptée par les différents acteurs concernés, on peut penser, comme nous le suggérions dans notre note pour le blog de Montaigne du 6 août, que le G7 réinventé par la France permettrait de replacer un groupe d’Européens et de puissances modérées et/ou libérales au centre de la coopération internationale sur les grands enjeux globaux.

L’Europe et la refondation de l’ordre mondial

Nous suggérions dans ce billet précité qu’un lien pouvait être effectué entre le rôle de M. Macron comme leader des progressistes (anti-nationalistes) en Europe et son action comme animateur d’un « camp progressiste » qui se structurerait au plan global, notamment à travers un G7 rénové dans son mode de fonctionnement si ce n’est dans son format. Dans son discours aux Ambassadeurs et Ambassadrices, le Président de la République se garde évidemment d’afficher une ambition personnelle sur ce sujet. Il souligne bien cependant que ce n’est pas la France seule mais l’Europe qui peut contribuer à « refonder » l’ordre mondial, en se plaçant en position centrale dans les nouveaux équilibres du monde, et qu’inversement, un rôle de cette nature pour l’Europe constituerait un élément de réponse à la crise européenne : « Et donc comment construire cette véritable souveraineté européenne ? Eh bien en répondant aux défis dont j’ai parlé depuis tout à l’heure, en faisant de l’Europe le modèle de cette refondation humaniste de la mondialisation. C’est ça le défi qui est le nôtre et c’est ça exactement le débat qui est posé aujourd'hui au peuple européen dans le cadre des élections qui adviennent ».
 
Il va de soi que, dans la pure tradition française, l’Europe qu’imagine le président Macron est une Europe-puissance, mais une Europe-puissance au contenu adapté au monde actuel :  l’Europe doit être « une puissance économique et commerciale qui construira la convergence fiscale et sociale en son sein. Je veux une Europe qui soit puissance numérique, et de l’intelligence artificielle, à travers les initiatives que nous avons commencé à prendre, d’un fonds pour les innovations de rupture, d’un vrai marché unique du digital, d’une taxation juste des acteurs du numérique. Une Europe puissance écologique, alimentaire, et sanitaire, qui permette partout en Europe de garantir les mêmes droits d’accès à une nourriture saine et à un environnement plus sain ».

Une diplomatie de combat

C’est au total un discours de combat qu’a prononcé M. Macron, en indiquant d’emblée que « oui, plus qu’il y a un an, nous sommes aujourd’hui à un moment de vérité ». Sur le plan politique, les thèmes développés sont évidemment liés à l’échéance des élections européennes dans sept mois. Le Président choisit la confrontation ouverte avec la ligne Orbán-Salvini. Ceux-ci, de leur côté, singularisent M. Macron comme leur ennemi principal. Son discours est en partie une tentative de récupération de certaines critiques formulées par les eurosceptiques tout en réaffirmant la capacité de l’Union européenne à apporter des réponses aux préoccupations des citoyens. L’affrontement sera difficile : d’ores et déjà, ses adversaires présentent M. Macron comme « le candidat de l’immigration » - alors que lui-même se définit en fait comme celui du droit d’asile et d’une politique migratoire strictement maîtrisée. Or, dans ce domaine, il faut bien admettre, les excès se révèlent souvent payant.
 
S’agissant des divers projets d’ « architecture » évoqués par le Président de la République, ils correspondent parfaitement à la vocation de la France. Trouveront-ils l’écho qu’ils méritent chez nos partenaires internationaux ? Si l’on prend l’exemple des « nouveaux formats » de concertation envisagés par le Président pour refonder la globalisation (réforme de l’OMC, G7 new look), leur avenir dépendra en partie de la bonne volonté de la Chine – pour laquelle Emmanuel Macron utilise à deux reprises le mot d’ « hégémonie » - et plus encore bien entendu de la capacité des Européens (singulièrement M. Macron) de convaincre le Président Trump simplement de ne pas tout bloquer. Ce dernier élément entre sans doute dans une large mesure dans la volonté du calculateur de l’Elysée de maintenir un dialogue étroit avec son homologue de la Maison Blanche.

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