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16/03/2021

La politique économique des Verts allemands

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La politique économique des Verts allemands
 Alexandre Robinet-Borgomano
Auteur
Expert Associé - Allemagne

La victoire des Verts aux élections régionales organisées dans le Bade-Wurtemberg le 14 mars dernier apparaît comme une étape décisive vers l’accession au pouvoir du parti vert en Allemagne. En remportant plus de 32,5 % des voix dans l’un des Länder les plus riches et les plus industrialisés du pays, les Verts, qui gouvernent dans le Bade-Wurtemberg depuis 2011, ont démontré leur capacité à mener une politique économique pragmatique, alliant la promotion de l’écologie à la défense de l’industrie. À l’aube d’une "super année électorale" en Allemagne, il revient aux Verts allemands de construire un discours économique cohérent démontrant la compatibilité entre développement économique et protection de l’environnement.     

La conversion des Verts au réalisme

Fondé en Allemagne de l’Ouest en 1980, le parti Les Verts (Die Grünen) se conçoit à l'origine comme un parti anti-système, l'émanation de mouvements pacifistes, pro-environnements et anti-nucléaires, encore largement marqués sur le plan économique par l’idéologie marxiste. En présentant les Grünen comme une alternative aux partis établis, le programme adopté par les Verts en 1980 affirme ainsi que "le développement industriel et la société de consommation condamnent l’homme à un dépérissement intellectuel et moral".

Les Verts allemands intègrent le jeu démocratique à travers leur première entrée dans les parlements régionaux et au Bundestag en 1983. Ils renoncent progressivement à leur positionnement contestataire au prix d’une division entre les "Realos", attachés à la coopérations avec les autres partis pour faire avancer les idées réformatrices et les "Fundis", qui rejettent la possibilité d’assumer des responsabilités gouvernementales et plaident pour une transformation radicale de la politique. L’alliance avec le parti Bündnis-90 fondé en ex-RDA au lendemain de la chute du mur, ne modifie pas fondamentalement les lignes de fractures d’un conflit interne qui culmine en 1998, lorsque les Verts intègrent au niveau fédéral le gouvernement du Chancelier Gerhard Schröder. 

Aujourd'hui, la question de la participation des Verts au gouvernement ne se pose plus. En 2020, les Verts participent à onze gouvernements régionaux sur 16, en coalition avec la CDU et le SPD mais également avec le parti d'extrême gauche Die Linke - en Thuringe, à Brême et à Berlin - et avec les Libéraux du FDP dans le Schleswig-Holstein et en Rhénanie-Palatinat. Les Verts gouvernent depuis 2011 dans le Land du Bade-Wurtemberg et leur approche responsable lors des négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral en 2017 a renforcé aux yeux de l’opinion leur crédibilité. 

Bien que s’expriment au niveau des Länder plusieurs nuances de vert, oscillant entre l’éco-socialisme des Verts berlinois et le conservatisme vert, théorisé par Winfried Kretschmann, et même si la base militante apparaît encore plus à gauche que ses dirigeants, l’élection d’un duo charismatique incarné par Annalena Baerbock et Robert Habeck à la tête du parti en 2018 a définitivement mis un terme aux anciennes divisions. Comme l’explique Amanda Sloat dans une étude de Brookings intitulée : Germany’s new centrists? The evolution, political prospects, and foreign policy of Germany’s Green Party, les Verts sont désormais unis derrières une ligne de centre-gauche, qui semble en mesure de donner une cohérence au slogan "Radikal ist das neue Realistisch" (La radicalité est le nouveau réalisme). 

Une refondation écologique et sociale de l’économie de marché

Rompant avec les accents marxistes de leur programme initial, les Verts allemands s’attachent aujourd’hui à renforcer leurs liens avec les milieux économiques. L’ancien député vert Thomas Gambke a ainsi fondé en 2018 le Grüner Wirtschaft Dialog, une plateforme d’échange permettant de structurer les liens des Verts avec le monde économique allemand. Créé en 2018 et présidé par le jeune député Daniel Bayaz, le Conseil économique des Verts (Wirtschaftsbeirat der Grünen) réunit quant à lui des personnalités politiques et des représentants d’entreprises, à commencer par Martin Brudermüller, le CEO du géant de la chimie BASF, ou Hagen Pfundner, membre de la puissante Fédération de l'Industrie allemande (BDI), pour évoquer les perspectives d’une transformation écologique et sociale de la société. 

La reconnaissance du marché libre comme condition de la prospérité constitue désormais l’un des piliers du positionnement économique des Verts.

Cette proximité nouvelle avec le monde industriel a comme préalable un rapprochement sur le plan des idées : la reconnaissance du marché libre comme condition de la prospérité constitue désormais l’un des piliers du positionnement économique des Verts. Comme l’explique Jens Althoff, directeur du bureau de la Heinrich Böll Stiftung à Paris, "le marché reste la priorité des Verts mais ce marché doit être régulé, afin de mieux prendre en compte les externalités négatives et de pallier ses défaillances. Le combat des Verts n’est pas un combat contre la logique du marché : c’est un combat contre les rentes et les monopoles qui empêchent le marché de fonctionner efficacement."

Plusieurs mesures concrètes inscrites dans la motion "Une économie adaptée au futur pour une prospérité durable" adoptée par les Verts lors du congrès de Bielfeld en 2019 participent de cette ambition. Se référant à l'économiste Nicolas Stern, les Verts allemands plaident ainsi pour une meilleure prise en compte des externalités négatives à travers la fixation d’un prix ambitieux du CO2. Dans le domaine du numérique, les Verts soutiennent une meilleure régulation des plateformes et une taxation des géants du secteur, afin de rétablir dans le domaine numérique les bases d’une concurrence libre et non faussée. 

Cette défense du marché n'empêche pas les Verts de proposer des mesures sociales fortes, comme la hausse du salaire minimum à 12 euros (contre 9,5 actuellement), la reconnaissance progressive de la semaine de 30 heures ou l'introduction d’un revenu minimum sans condition. La nécessité de faire face aux conséquences économiques de la pandémie a par ailleurs conduit les Verts à renforcer leur profil social : dans une interview accordé à l’ARD en août dernier, Robert Habeck, coprésident des Verts allemands, affirmait ainsi qu’une taxation plus élevée du patrimoine ou des prélèvements sur les hauts revenus pourraient permettre de faire face au niveau de dépenses publiques élevé lié à la pandémie. 

Investir dans l’économie de demain

Le discours déployé par les Verts dans le domaine économique s'appuie sur l’idée que les fondements de l’économie allemande qui ont fait le succès du pays ces dernières décennies - la chimie, l’industrie automobile, la construction de machines-outils- appartiennent désormais au passé, imposant au pays de se réinventer. Conscients que l’Allemagne doit se transformer pour préserver les bases de sa prospérité, les Verts allemands misent sur le soutien à l’innovation, le déploiement d’une politique d'investissements et la mise en place d’une stratégie industrielle européenne capable d’accompagner dans la durée cette transformation.

L’évolution la plus notable du positionnement économique des Verts réside ainsi dans la confiance qu’ils accordent désormais au progrès technique et à l’innovation. Rompant avec la suspicion initialement jetée sur la technique par les écologistes, les Verts allemands sont parvenus à s’imposer comme un parti progressiste, attaché à soutenir la création d'entreprises et particulièrement bien représenté dans la scène allemande des start-ups. Interrogé par l'hebdomadaire Die Zeit, Annalena Baerbock, coprésidente des Verts allemands et potentielle candidate à la Chancellerie, plaide ainsi pour la création d’un fonds de venture capital alimenté par l’État pour soutenir les start-ups mais également pour la mise en place de crédits d'impôts en faveur des entreprises qui investissent dans l’innovation durable.

Les Verts allemands sont parvenus à s’imposer comme un parti progressiste, attaché à soutenir la création d'entreprises et particulièrement bien représenté dans la scène allemande des start-ups

Dans un sens similaire, les Verts plaident pour une nouvelle stratégie industrielle européenne permettant à l’Europe de renforcer sa souveraineté technologique, dans le domaine des semiconducteurs comme dans celui de l’intelligence artificielle et de la 5G. 

Comme l’a montré l’expérience de Verts dans le Bade-Wurtemberg, le pragmatisme économique l'emporte désormais sur l’idéologie et il semble aujourd’hui difficile de définir les contours d’une politique économique proprement verte, distincte de celle des autres partis. 

Le domaine dans lequel les Verts se distinguent le plus nettement des partis au pouvoir reste sans doute celui de l'investissement. Comme l’explique Sven Christian Kindler, porte-parole des Verts pour les questions budgétaires au Bundestag dans une interview : "Si nous n’investissons pas massivement dans la protection du climat et la numérisation dès maintenant, nous allons manquer la jonction à l'échelle mondiale et pire encore, nous allons détruire nos moyens de subsistance (...) le moment est venu de lancer un fonds d'investissement de 500 milliards d'euros sur les dix prochaines années. Pour cela, nous avons besoin d'une réforme fondamentale du frein à l'endettement, afin que les investissements nets de ce fonds puissent être à l’avenir financés par des prêts". Dans le nouveau débat sur la dette qui émerge en Allemagne, la position du parti vert est plus facilement identifiable que celle de ses concurrents. Pour le parti écologiste, le frein à l’endettement représente un frein à l’investissement particulièrement dangereux pour un pays souffrant d’un manque chronique d'investissements publics depuis plusieurs années - une opinion désormais partagée par de nombreux économistes et par le BDI. 

Conclusion

La Fédération de l’industrie allemande (BDI) a publié en décembre 2020 une évaluation du programme économique des Verts. Si ce document regarde de façon critique le positionnement économique du parti, c’est moins les orientations choisies que le manque de précision et de mesures concrètes qui est dénoncé dans cette analyse. Cette évaluation est révélatrice à la fois de l’attention nouvelle portée par les milieux d’affaires aux propositions des Verts, mais également de l'ambiguïté que le parti entretient en vue des prochaines élections. 

Désireux de ménager la possibilité de former une coalition avec les conservateurs comme avec les Libéraux et le SPD, le positionnement économique des Verts reste incertain. Pour le parti vert, il s’agit moins d’affirmer une compétence nouvelle dans le domaine économique que de se présenter comme un partenaire crédible de coalition. Longtemps réticents à exercer le pouvoir, les Grünen sont désormais prêts à faire les concessions qui leur permettront d’assumer en Allemagne de nouvelles responsabilités.

 

 

Copyright : Tobias SCHWARZ / AFP / POOL

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