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20/11/2017

La malédiction du Liban

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La malédiction du Liban
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

La "convocation" récente à Riyad du Premier ministre libanais Saad Hariri peut être le point de départ d'une nouvelle crise au Moyen-Orient. Pays fragile, le Liban est victime de l'affrontement à distance entre les deux puissances régionales que sont l'Iran et l'Arabie saoudite.

Le Liban est-il au Moyen-Orient l'équivalent de ce qu'était la Pologne en Europe à la fin du XIIIe siècle, "Le Terrain de jeu de Dieu" (God's Playground) pour reprendre l'expression de l'historien britannique Norman Davies ? La réponse est oui, hélas, car sa faiblesse, conjuguée aux ambitions de ses voisins directs ou indirects est une des clefs du futur de la région dans son ensemble.

Victime de la faiblesse structurelle de ses institutions, le Liban est comme pris en étau entre deux ambitions régionales. Il y a d'un côté l'Iran, qui n'arrête pas de "marquer des points" de l'Irak à la Syrie. Et de l'autre, l'Arabie saoudite, engagée dans une fièvre de réformes à l'intérieur et d'activisme guerrier et diplomatique, du Yémen au Qatar, à l'extérieur. Confronté depuis de nombreuses années déjà à la présence en son sein d'un Hezbollah, véritable "Etat dans l'Etat", le Liban se trouve désormais victime de l'appétit de revanche de l'Arabie saoudite du prince Mohammed ben Salmane. En "convoquant" le Premier ministre Hariri, comme on le ferait d'un mauvais élève, Riyad entend pousser le gouvernement libanais à faire preuve de plus de fermeté à l'égard du Hezbollah. Le "bras armé de l'Iran" n'est pas seulement devenu trop puissant au Liban, mais il joue, semble-t-il, un jeu dangereux aux côtés des rebelles houtis, dans la guerre par procuration à laquelle se livrent au Yémen Saoudiens et Iraniens. L'escalade du conflit au Yémen est-il le point de départ de la nouvelle crise libanaise ?

Alors que, progressivement, les armes se taisent en Irak et en Syrie avec la "chute du Califat", il serait catastrophique que la violence renaisse au Liban, entre pro-Saoudiens et pro-Iraniens, sinon entre le Hezbollah et Israël.

Comment imposer une désescalade à deux parties dont l'une se sent pousser des ailes, l'Iran, et l'autre lutte pour la survie de son régime en imposant des réformes à marche forcée ? "Les réformes faites à temps affaiblissent l'esprit révolutionnaire", disait le comte de Cavour, le père de l'unité italienne. Celles qui viennent trop tard fragilisent des régimes autoritaires "qui ne sont jamais plus vulnérables qu'au moment où ils tentent de s'ouvrir", écrivait Tocqueville.

Quelle devrait être la priorité absolue au Moyen-Orient après la défaite militaire de Daech ? Pour les uns, il faut d'abord assécher les sources de recrutement du terrorisme par une meilleure intégration des populations grâce à des programmes sociaux et économiques.

L'appétit de Téhéran

Pour d'autres, il existe au contraire une priorité urgente qui s'impose à très court terme. Elle consiste à contenir les ambitions de l'Iran. Loin d'être repu par ses succès, Téhéran, l'appétit venant en mangeant, entend consolider ses avantages dans l'ensemble de la région, au nom d'un chiisme conquérant. Selon les Israéliens, les Iraniens ne seraient-ils pas en train de construire une base militaire en territoire syrien sur les contreforts du mont du Golan ? Le moment n'est-il pas venu, de revenir à une politique de sanctions qui tire les conséquences du comportement ambigu de Téhéran depuis l'accord sur le nucléaire signé en 2015 ?

Maelström des passions

Pour une troisième école enfin, la priorité des priorités est désormais d'éviter d'ajouter du chaos à la confusion. Face au maelström de passions qui la domine déjà, la région n'a surtout pas besoin d'une nouvelle guerre, dont l'épicentre serait cette fois le Liban. Le court passage à Riyad du président Macron, facilité dit-on par le sultan d'Abu Dhabi, répond à cette préoccupation immédiate de faire retomber la tension. Contenir les élans des uns, les ambitions excessives des autres, implique de faire appel à la raison dans une des régions les plus "irrationnelles" du monde. Comment convaincre les Iraniens qu'ils remettraient en cause tous les gains qu'ils ont réalisés au cours des dernières années, s'ils poussaient trop loin leurs avantages ? Comment, par ailleurs, pousser les Saoudiens à renoncer à leur prise de risque internationale excessive et largement contre-productive ? Leurs pressions sur le Qatar se sont révélées globalement sans effet. Plus encore, Riyad n'a pas su marquer des avantages décisifs au Yémen, dans une guerre qui constitue une catastrophe humanitaire de grande ampleur, se déroulant dans une indifférence quasi générale. Il est douteux que les Saoudiens puissent faire mieux au Liban. Hausser la voix pour masquer sa faiblesse est une stratégie dangereuse pour un régime engagé à l'intérieur dans une course contre la montre avec son destin.

Pour la France, calmer le jeu au Moyen-Orient et accélérer le tempo de l'intégration en Europe, constituent deux objectifs qui s'inscrivent dans une même vision stratégique globale. En Europe, Emmanuel Macron dit en substance aux Allemands, ce que disait Kohl aux Français, au lendemain de l'unification de l'Allemagne : "Vous n'aurez jamais un dirigeant plus pro-européen que moi, saisissez l'occasion. Elle risque de ne pas se reproduire". Au Moyen-Orient, à l'heure incertaine de Trump, la France a, pour des raisons surtout historiques et culturelles, des atouts au Liban, qui lui permettent peut-être de parler à l'Arabie saoudite et à l'Iran, avec quelque chance d'être entendue.

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 17 novembre).  

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