Ancienne ministre de la justice et professeure de droit, Paola Severino est une voix très respectée en Italie sur les questions de justice et de lutte contre la mafia. Le 6 avril, elle a tiré la sonnette d'alarme dans l'un des principaux journaux italiens, La Stampa, sur le nouvel activisme des organisations criminelles dans le contexte de la crise du Covid-19 qui a particulièrement touché l'Italie. L'Institut Montaigne l'a interrogée sur les raisons de cette inquiétude et sur la manière d'y faire face.
La crise sanitaire en Italie rend de nombreuses familles et entreprises vulnérables, et vous avez mis en garde contre la mafia dans la presse italienne, car elle pourrait combler ce vide à bien des égards. En quoi la mafia est-elle plus active pendant cette crise ?
Deux considérations théoriques différentes, ainsi qu’une vérification pratique, m’ont amené à lancer l’alerte sur le danger réel posé par ces organisations criminelles, qui pourraient profiter de cette période d’urgence sanitaire et de crise économique pour tenter de renforcer leur position.
J’ai tout d’abord constaté que les organisations criminelles en Italie ont été affaiblies par un système réglementaire et judiciaire, qui les a combattues avec acharnement en utilisant tous les moyens à leur disposition. Les enseignements de Giovanni Falcone, juge héroïque victime de la mafia, ont porté leurs fruits. Sa pensée peut être résumée à travers deux dictons historiques : coupez-leur l'herbe sous le pied, et suivez l'argent. Ce faisant, nous sommes parvenus non seulement à condamner les chefs des gangs mafieux principaux, mais aussi à nous emparer des immenses richesses provenant de leurs crimes. Néanmoins, affaiblir ne signifie pas vaincre, et le feu couve encore sous les cendres.
Le second constat est qu’une organisation affaiblie, mais non pas vaincue, cherche naturellement à se renforcer par toutes les voies possibles. La mafia exploite par exemple toutes les faiblesses du tissu social afin de recruter de nouveaux disciples, ou tente d'infiltrer des entreprises pour investir l'argent provenant d'activités illicites très rentables, comme le commerce de l’armement et le trafic de drogue.
J'ai ensuite procédé à une vérification pratique, en contactant les directeurs des écoles du sud de l'Italie qui participent, en partenariat avec l'Université Luiss dont je suis Vice-présidente, à un projet dont le but est de renforcer le cadre juridique. Ils ont servi de "détecteurs d'alarme sociale", en décrivant la situation critique de certaines familles d'artisans, de vendeurs à la sauvette ou de travailleurs saisonniers qui ont perdu toute source de revenus et se retrouvent ainsi dans une situation de pauvreté absolue. Des membres d’associations criminelles ont approché ces familles, leur fournissant une aide alimentaire en échange d'un futur recrutement.
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