Il faut donc resituer le conflit syrien dans un jeu plus large dont je m’efforce dans La longue nuit syrienne de mesurer toute l’ampleur. Si l’on tire un premier bilan, l’Occident a subi en Syrie un recul stratégique vis-à-vis de la Russie et de l’Iran ; il n’est pas loin de perdre la Turquie ; ce double revers a été aggravé par l’émergence de Daech et les conséquences en Europe du conflit syrien, comme l’afflux de réfugiés et les attentats, qui eux-mêmes ont fait le jeu des populistes européens. Au total, le conflit syrien a agi en catalyseur de la montée en puissance des néo-autoritaires– notamment MM. Poutine, Erdogan, Orban, Salvini, voire Netanyahu – comme la Guerre d’Espagne à la fin des années 30 avait cristallisé la montée en puissance des Etats totalitaires. L’avenir reste cependant incertain : la Syrie est maintenant un élément de la grande confrontation entre l’Iran, Israël et les Etats-Unis et potentiellement de la relation complexe entre la Russie, les Etats-Unis, l’Europe et les Etats du Golfe. La victoire d’Assad est-elle définitive ? Je n’en jurerais pas.
Soyons clairs vis-à-vis du lecteur : même quand j’aborde dans ce livre ces grandes questions géopolitiques, mon expérience et même ma biographie de diplomate ne sont jamais très loin. J’ai servi quatre ans à Moscou à la fin des années 1980 et j’ai été le numéro 2 à la mission des Nations-Unies à New-York au moment du conflit sur l’Irak. Je scrute le drame de la Syrie en quelque sorte à travers une double grille de lecture : celle de ce régime d’Assad tel que je l’ai connu comme ambassadeur ; celle de tendances que j’avais observées à d’autres moments de ma carrière : d’un côté, la désaffection des Occidentaux vis-à-vis du recours à la force, après l’Afghanistan, l’Irak et la Libye ; d’un autre côté, la volonté de M. Poutine de réaffirmer le rang de la Russie et même, à partir de 2011-2012, de provoquer une "repolarisation du monde". Peut-être aurais-je dû mettre davantage en relief dans ce livre une troisième grille de lecture : le conflit syrien représente un retour en arrière inimaginable pour les droits de l’Homme, le droit humanitaire, la protection des populations civiles.
Je mentionne cet aspect du conflit syrien, dans ce livre, au registre de la défaite de l’Occident, qui n’a pas su faire respecter son ethos. Cependant, nous sommes en présence d’un immense revers pour l’humanité tout entière, qui jette une lueur sinistre sur les débuts du XXIe siècle. Maarat al-Nouman en effet n’est que l’un des milliers de Guernica qui se sont produits ou se produisent encore dans ce malheureux pays. On peut craindre que la longue nuit syrienne s’étende à l’avenir bien au-delà de la Syrie.
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