Il est ainsi probable qu’un passeport soit prochainement jugé moins fiable qu’une identité certifiée par Apple. Cet exemple peut aisément être transposé à de nombreux autres secteurs, achevant ainsi de démontrer l’avantage distinctif dont disposent les méta-plateformes.
Santé et éducation semblent ainsi être les prochaines cibles. Car l’enjeu n’est pas d’améliorer, mais de repenser les services de fond en comble. C’est d’ailleurs en partie parce que l’Estonie avait été presque détruite sous le joug soviétique qu’elle a pu s’atteler, après la chute du mur, à la reconstruction d’une administration d’un type radicalement nouveau. En santé, ce sont généralement des régions aux systèmes récents qui détiennent les premières places : Israël, Singapour et Shanghai sont régulièrement cités en exemples pour avoir construit des modèles où la donnée numérique est un facteur de premier plan dans la gestion des soins et du système épidémiologique. Dans l’éducation, l’Estonie est également le premier pays européen au sein de PISA. Est-ce un hasard si le numérique y a été employé pour repenser la presque totalité des protocoles pédagogiques ?
Comme les seigneurs locaux à la fin de la Renaissance, les acteurs politiques et hauts fonctionnaires ne comprennent pas le paradigme à venir
C’est au fond d’un enjeu de culture dont il est question : les hauts fonctionnaires et acteurs politiques ne comprenant pas qu’un paradigme nouveau est en jeu, il leur est impossible d’accompagner une transformation d’une telle ampleur. Dans l’hypothèse peu probable où ils ne s’y opposeraient pas, de sorte à conserver leurs zones de compétences, leur simple passivité suffirait à bloquer la transformation. Car, il importe d’insister sur ce point, la révolution numérique n’est pas de nature incrémentale. C’est une rupture ; et les modalités du monde d’hier sont souvent des facteurs bloquants pour comprendre et mettre en oeuvre le nouveau paradigme. Créer une gouvernance de la donnée qui réponde aux enjeux d’une nation moderne, créer une doctrine antitrust qui ne soit plus basée sur les parts de marché mais potentiellement sur les données et le "touchpoint", ou nombre de points de contact, créer des contextes de régulation favorables à l’innovation… Voici quelques unes des missions des institutions de demain.
Les États qui ne comprendront pas la nouvelle donne pourraient bien en mourir et leur indigence numérique ne les aide pas à mettre en place une alternative. L’incapacité d’une large majorité de nations, dont la France, à adopter le principe d’un État-plateforme, à l’instar de ce que fait l’Estonie, est inquiétante. Dans ces pays, c’est souvent la haute administration qui dicte le tempo des réformes. Naturellement, celles qui la concernent directement sont les moins susceptibles d’être mises en oeuvre.
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