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07/05/2021

La course à la chancellerie : une nouvelle politique de sécurité internationale pour les Verts allemands

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La course à la chancellerie : une nouvelle politique de sécurité internationale pour les Verts allemands
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Les élections fédérales qui se tiendront en Allemagne le 26 septembre 2021 éliront le 20e Bundestag et le nouveau chancelier. Trois partis mènent la course : les conservateurs (CDU-CSU), les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Dans cette série d’articles, l’Institut Montaigne propose un suivi des élections qui vont se révéler cruciales pour l’Allemagne et l’Europe. 

"Je ne fais pas beaucoup de cas des lignes rouges, mais la définition d’une nouvelle façon d’agir vis-à-vis des régimes autoritaires est pour moi une dimension centrale de l’action du prochain Gouvernement - pour défendre nos valeurs et notre sécurité. Nous nous trouvons désormais dans une compétition systémique opposant les puissances autoritaires aux démocraties libérales. Et cela vaut pour la Chine". Dans l’entretien qu’elle a accordé à la FAZ, Annalena Baerbock, candidate des Verts à la chancellerie, a présenté une approche "réaliste" des questions de sécurité et de défense. Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères, analyse ce nouveau tournant. 
 
Le dernier chapitre du programme électoral des Verts, consacré à la sécurité internationale, illustre le chemin parcouru par ce parti pacifiste et hostile à l’OTAN à sa fondation en 1980. Tout en faisant figurer quelques "marqueurs", comme la suppression du droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies et le refus de l’objectif des 2 % du PIB alloués à l’effort de défense, les écologistes allemands entendent promouvoir une politique étrangère active, qui prenne en compte les défis sécuritaires actuels, et ils mettent en avant la souveraineté européenne

La réforme du Conseil de sécurité de l'ONU

L'engagement de l'Allemagne et de l'UE en faveur des Nations Unies sur le plan du personnel, mais aussi financier et diplomatique, doit être accru, souligne le texte. L’ONU doit s’adapter aux réalités du XXIe siècle, ce qui passe par une "représentation plus équitable des différentes régions du monde au conseil de sécurité" et par la remise en cause d'un droit de veto qui "n'est plus d'actualité" et qui doit être aboli "à long terme". Comme étape intermédiaire, en cas de "crime contre l'humanité" et de blocage persistant au Conseil de sécurité (CSNU), les Verts proposent d'habiliter l'Assemblée générale à adopter des mesures contraignantes à la majorité qualifiée.

Le volet "sécurité internationale" de la plate-forme des Verts reprend largement le contenu de leur programme électoral de 2017. Sur plusieurs points il s’en distingue cependant, ce qui traduit la modification du contexte extérieur et aussi une perspective, aujourd'hui réelle, d’exercice du pouvoir. S’agissant des Nations Unies, en cas de blocage au CSNU, ils proposaient déjà de transférer la décision à l'Assemblée générale, ils sont désormais aussi favorables à la suppression du droit de veto.

Une UE plus souveraine

Dans un monde marqué par la compétition avec les systèmes autoritaires, l'Allemagne doit "à nouveau pratiquer une politique étrangère active". 

Dans un monde marqué par la compétition avec les systèmes autoritaires, l'Allemagne, en retrait ces dernières années, selon les Verts, doit "à nouveau pratiquer une politique étrangère active", multilatérale, guidée par les valeurs, fondée sur une collaboration franco-allemande "solide", s’inscrivant également dans un cadre transatlantique et onusien. "Puissance civile", l'UE est non seulement la réponse à une longue histoire de guerres et d'hostilités sur notre continent, mais aussi une "promesse d'avenir qui doit être tenue". 

Aussi, les Verts travaillent-ils à une "communauté européenne des valeurs" qui "réduise sa dépendance par rapport aux Tiers dans les domaines critiques et promeuve sa souveraineté stratégique dans une approche équilibrée, conjuguant coopération là où c'est possible et autonomie là où c'est nécessaire".

Une nouvelle politique méditerranéenne est jugée indispensable, qui soit à la hauteur des "énormes défis posés par le terrorisme, les régimes autoritaires et l'absence d'État". La PSDC, le SEAE et le pilier JAI doivent être renforcés, notamment pour la prévention des crises, "une réserve de médiateurs et d’experts de l'UE" doit être créée, en Allemagne le "service civil pour la paix" ("Ziviler Friedensdienst") étant doté de moyens accrus. Les Verts se prononcent en faveur d'une "Union de la sécurité", soumise à un "contrôle parlementaire étroit et à une politique restrictive d'exportation d'armements" (cf. infra). Plutôt que de multiplier les structures militaires parallèles, la coordination entre les armées de l'UE doit être privilégiée et les capacités militaires regroupées. 

Le terme de "souveraineté" européenne fait son entrée en lien avec la recherche d'une plus grande autonomie de l'UE dans les domaines énergétique, technologique et monétaire. Il y a cinq ans, les Verts se réclamaient encore de la "culture de la retenue militaire" ("Kultur der militärischen Zurückhaltung"), longtemps constitutive de l’histoire de la république fédérale, ce n’est plus le cas aujourd’hui. 

Un partenariat transatlantique renouvelé

Les Verts plaident en faveur d'une meilleure coordination avec les autres partenaires européens (Royaume-Uni, Norvège) membres de l'OTAN. Ils constatent des intérêts de sécurité divergents au sein d’une Alliance, dépourvue de "perspective stratégique claire", qui demeure cependant, "avec l'UE, un acteur indispensable", pour garantir la sécurité commune de l'UE et "un frein à la renationalisation des politiques de sécurité". "Nous avons besoin d'une redéfinition de l'OTAN, d'une analyse commune de la menace et d'une discussion sur une répartition équitable des coûts entre États membres" estiment les Verts, hostiles toutefois à l'objectif "arbitraire" des 2 % du PIB consacrés à l'effort de défense.

Le partenariat transatlantique demeure un "pilier de la politique étrangère allemande", mais il doit être "renouvelé, européanisé, multilatéralisé, lié à des valeurs communes claires et à des objectifs démocratiques". Le programme écologiste propose de mettre au cœur de ce nouvel agenda transatlantique le climat, le numérique, la coopération multilatérale sur les questions sanitaires et commerciales, ainsi que la protection des droits de l'homme. Le continent européen n'étant pas au centre de l'intérêt des États-Unis, l'UE et ses États membres doivent endosser plus de responsabilités dans la politique étrangère et de sécurité, notamment vis-à-vis des voisins orientaux, Pologne et États baltes. 

Une nouvelle politique vis-à-vis des régimes autoritaires

Les Verts rejettent "la politique extérieure agressive du gouvernement turc", qu'ils appellent à revenir à "une politique étrangère et de sécurité multilatérale, y compris au sein de l'OTAN". Une reprise des négociations d'adhésion n'est envisageable que lorsque la Turquie retournera à la démocratie et à l'État de droit, affirme le programme, critique aussi de l'accord sur les réfugiés conclu avec l'UE, qui "sape le droit international humanitaire et a échoué" et auquel doit se substituer un accord, qui tire les enseignements du passé et définisse un contingent de réfugiés nécessitant une protection particulière et ayant vocation à être réinstallés dans les pays de l'UE.
 

Le partenariat transatlantique demeure un "pilier de la politique étrangère allemande", mais il doit être "renouvelé, européanisé, multilatéralisé, lié à des valeurs communes claires et à des objectifs démocratiques".

Dénonçant le tournant autoritaire pris par le régime russe, qui "met en cause de manière de plus en plus offensive la démocratie et la stabilité de l'UE", les Verts entendent soutenir une "société civile russe courageuse, soumise à une répression croissante". Dans ce contexte, les sanctions décidées par l'UE ne pourront être levées que lorsque les conditions seront réunies, elles devront être durcies si nécessaire. Le projet de gazoduc Nord stream 2 est jugé nuisible, non seulement du point de vue du climat et de la politique énergétique, mais aussi au plan géostratégique, il doit être arrêté.

Le tournant autoritaire qui s’est accentué en Russie explique sans doute que le dialogue qui était préconisé avec Moscou dans le cadre du "conseil OTAN-Russie" n’est plus évoqué. En 2017, les Verts mentionnaient aussi le projet Nord stream 2 comme exemple de l’esprit de compromis dont devait faire preuve Berlin à l’égard de ses partenaires européens, ils demandent aujourd’hui explicitement l’arrêt de la construction du gazoduc.

Une coordination transatlantique nécessaire à l’égard de la Chine

Reprenant la formule de la Commission européenne (la Chine, "concurrent, partenaire et rival systémique de l'UE"), les Verts appellent Pékin à mettre un terme aux "violations flagrantes des droits de l'homme au Xinjiang, au Tibet et à Hong-Kong", ils proposent aussi un dialogue constructif sur les questions climatiques. "Au vu des violations des droits de l'homme, la loi sur le devoir de vigilance des entreprises européennes doit interdire l'accès au marché intérieur des marchandises produites par le travail forcé", ajoutent les Verts, favorables à une coordination européenne et transatlantique étroite à l'égard de la Chine, en particulier dans les domaines de la 5G et de la protection des infrastructures critiques.

Les interventions extérieures de la Bundeswehr encadrées

Les opérations de paix dans le cadre onusien, qui contribuent à la "stabilité, à la sécurité et à la paix", sont acceptées, considérant que "le recours à la force comme ultima ratio peut s'avérer nécessaire dans certaines situations pour empêcher un génocide et créer les conditions d'une solution politique". Toutefois, "une intervention militaire extérieure nécessite une mission claire et réaliste, des volets civil et militaire équilibrés et des évaluations indépendantes", souligne le programme. L'intervention de la Bundeswehr à l'étranger est possible dans un cadre de "sécurité collective", mais non au sein d'une "coalition de volontaires", jugée "inconstitutionnelle". Une opération qui porte atteinte à la souveraineté d'un pays nécessite un mandat des Nations Unies, souligne les Verts qui admettent que la communauté internationale se trouve face à un dilemme quand le droit de veto est détourné de son objet, "l'inaction tout comme l'intervention ont des conséquences dommageables pour les droits de l'homme ou pour le droit international".

Un renoncement graduel aux armes nucléaires, des procédures d’exportation d'armements assouplies

Les nouvelles technologies modifient la manière de faire la guerre, constatent les Verts.

Les nouvelles technologies modifient la manière de faire la guerre, constatent les Verts, qui souhaitent subordonner le recours par la Bundeswehr aux cyberattaques au contrôle du Bundestag et soulignent la nécessité de fixer des orientations pour agir dans le cyberespace.

Les écologistes allemands appellent de leurs vœux une action internationale visant à adopter des règles et des mesures de confiance dans ce domaine et à proscrire l'attaque d'infrastructures civiles. Ils proposent d'intensifier la coopération européenne dans la cyberdéfense. Les systèmes d'armes létales autonomes doivent être soumis à des règles internationales, ainsi que les armes digitales, l'Allemagne et l'UE étant appelées à prendre des initiatives dans ce domaine.

L'objectif des Verts demeure un monde sans armes nucléaires, après la remise en cause du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) et la prolongation de new START, ils invitent à reprendre les discussions sur le projet "Global zéro" proposé par B. Obama. Comme étapes intermédiaires, ils proposent une réduction des arsenaux nucléaires, le renoncement de l'OTAN à une première frappe et un débat sur la doctrine de la dissuasion, jugée "obsolète". Est aussi rappelé le refus du stationnement d’armes nucléaires sur le sol allemand. Cela dit, les Verts sont conscients que ces propositions nécessiteront "beaucoup de discussions" avec les partenaires européens et de plus fortes garanties de sécurité pour les "alliés polonais et baltes". 

Le programme exclut la vente d'armes dans les zones de guerre et à des régimes qui ne respectent pas les droits de l'homme, il prévoit l'adoption par le Bundestag d'une loi sur le contrôle des exportations d'armements, qui inclut des assurances sur la destination finale des armes, et interdise la garantie Hermes. La coopération sécuritaire avec d'autres États doit être liée au respect des critères démocratiques. Les Verts prônent une politique "restrictive" européenne en matière d'exportation d'armements.

Le programme reste très discret sur la coopération européenne de production d’armements, mais la doctrine en matière d’exportations d’armes s’est assouplie depuis 2017, elles étaient alors limitées à "quelques cas justifiés" en dehors des États membres de l'UE et de l'OTAN et devaient être "en conformité avec la charte des Nations Unies", restrictions qui ont disparu, le nouveau programme retient comme critères justifiant un embargo à l’exportation les zones de guerre et les régimes qui bafouent les droits de l’homme.



Copyright : Markus Schreiber / POOL / AFP

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