Le logement est le premier investissement, le principal facteur de consommation et la principale épargne d’une partie de la population. Et en s’attaquant au secteur charbonnier au moment où la demande asiatique et mondiale d’énergie remonte, cette transition énergétique autoritaire crée une pénurie d’électricité comme la Chine n’en a pas connu depuis le début des années 2000.
Officiellement, les mises en chantier dans le bâtiment ont baissé de 7 % en août et comme en septembre par rapport aux mois précédents. En septembre, la production d’acier a baissé de 21 % en glissement annuel, celle de ciment de 13 %. La croissance annuelle du secteur industriel est tombée en dessous de 5 % au troisième trimestre. Ce sont d’excellentes nouvelles pour les objectifs de réduction des émissions de CO2, et on peut penser que le mois d’octobre en apportera d’autres.
Quelles que soient les conséquences pour le climat des affaires et l’impact financier de la crise immobilière, il s’agit d’une politique revendiquée par Xi Jinping, qui vise à stopper la fuite en avant de l’endettement public et privé dans l’immobilier, et la gabegie énergétique qui y est associée. En même temps, les autres politiques de transition énergétique sont renforcées. Il y entre des motivations économiques internationales - prendre la tête de plusieurs secteurs d’énergies alternatives et d’équipements au service de la transition énergétique, en faisant jouer l’économie d’échelle que permettent les investissements intérieurs chinois. C’est ce qui s’est passé pour les télécommunications, les infrastructures physiques, l’industrie automobile ou encore le solaire. Globalement, les exportations chinoises maintiennent d’ailleurs leur dynamisme, avec + 13,9 % sur un an en septembre 2021.
La liste qui suit de ces mesures est partielle et sans doute à compléter constamment. Certaines avaient été préfigurées par des débats publics d’experts chinois. Le plus souvent, ces critiques et recommandations émanaient davantage d’économistes plutôt que d’experts en questions climatiques internationales : ces derniers sont préposés à la défense des thèses officielles. Parmi ces mesures, notons depuis décembre 2020 :
- plafonnement de la production charbonnière et fermeture de certaines mines pour raisons de sécurité ;
- réductions de consommation énergétique imposées aux secteurs les plus intensifs ("double haut 两高", c’est-à-dire à la fois intensifs en énergie et en faible réduction de cette intensité), mais élargies au-delà de ces secteurs - le coup d’arrêt à la production de bitcoins dans l’ouest de la Chine s’explique aussi par ce motif ;
- réforme du financement vert par obligations avec exclusion des projets d’énergie fossile (qui avaient compté pour une part substantielle des plans de relance en 2020 et 2021) - ceci permettrait aussi à des industries basées en Chine de satisfaire aux exigences d’une taxe carbone européenne aux frontières ;
- annonces sectorielles innombrables : pompage et stockage de l’électricité (imposés pour tous les nouveaux projets d’énergies renouvelables à concurrence de deux heures de débit) ; production et stockage d’hydrogène vert (à destination de Pékin, de Shanghai et de la Greater Bay Area en priorité) et soutien aux véhicules à hydrogène - la Chine a achevé en septembre la construction de son premier réacteur nucléaire à haute température permettant la production d’hydrogène décarboné ;
- investissement majeur dans les interconnexions de réseau (leur faible capacité a beaucoup joué dans la sous-utilisation des énergies intermittentes, et, plus généralement, les régions de production sont géographiquement éloignées des grands centres de consommation) ; le montant équivaut à celui des plans TGV chinois des années 1990 ;
- soutien aux projets sur les batteries solides (sodium-ion) - multiplication des projets de voitures électriques ;
- multiples annonces par les grandes sociétés pétrolières, charbonnières, et les administrations provinciales de projets renouvelables - extension du parc nucléaire de 54 à 70 GWh en 2021-2025 ;
- annonce d’un quota de 70 % de logements verts et modulaires pour la construction urbaine ;
- mise en route du système d’échange des émissions (CTS) en août, toutefois limité à 2250 grandes entreprises d’État très énergivores - les prix-carbone sont pour l’instant dérisoires et non incitatifs, mais l’élargissement du système sera rendu possible par le projet de réseau statistique.
- en effet, création d’un réseau statistique national pour mesurer les émissions de CO2 : c’est l’étape indispensable pour étendre le marché des émissions et créer une taxe carbone différenciée (en l’absence de capacités de mesure, des propositions avaient émergé pour une flat tax) ;
- hausse locale des tarifs de l’énergie pour les consommateurs individuels (ces tarifs étaient souvent en dessous des coûts de production, comme naguère ceux de l’essence) ;
- enfin, et c’est l’élément le plus important, adoption d’une tarification flexible de l’énergie, à la fois selon l’évolution de son coût et selon les secteurs : si la hausse pour les particuliers et les micro-entreprises doit rester limitée, celle des autres secteurs peut évoluer dans une marge de 20 % à la hausse ou à la baisse. Pour les secteurs les plus énergivores (à la fois dans l’absolu et en intensité), la hausse sera déplafonnée. De même, la NDRC prépare une flexibilité des prix de l’énergie échangée par les connexions interprovinciales. Un système de fixation de prix du carbone est "mis à l’étude".
Une transition douloureuse
On mesure évidemment les coûts d’une telle transition énergétique. Ils se lisent d’abord dans la pénurie actuelle, résultat d’une véritable "crise des ciseaux" : alors que le prix du charbon et du gaz naturel explose, les producteurs d’électricité sont restés soumis à des tarifs fixes et ont ainsi préféré couper la production plutôt qu’enregistrer des pertes financières importantes.
À très court terme, ce sont les effets pervers d’une transition désordonnée qui prédominent ; il est difficile ici de faire la part des mesures officielles et du retentissement d’une pénurie globale d’énergie - où la Chine a joué un rôle par ses achats de précaution au premier semestre 2021. La pénurie d’énergie, et notamment le faible niveau des stocks de charbon, menacent le bien-être de la population chinoise à l’approche de l’hiver. C’est une sérieuse contradiction avec la "prospérité commune" que Xi Jinping met aujourd’hui au premier plan.
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