Compte tenu de l'énorme investissement chinois dans le secteur de l'informatique et des télécommunications, ainsi que de l’impulsion qu’elle donne dans le domaine de la 5G, il n'est pas surprenant qu'un ressortissant chinois – fort d’une longue carrière au sein de l'Union internationale des télécommunications (ITU) – se soit hissé à la tête de cette dernière. Non sans quelques réserves, on pourrait aussi ajouter que si l'espionnage est un problème, il n'est pas nécessaire d'être directeur d'une agence de l'ONU pour y pénétrer…
La Chine est-elle réellement une superpuissance de l'innovation ?
La Chine émerge dans le domaine des brevets et de la propriété intellectuelle : à la fois comme contributrice majeure à l’innovation et comme obstacle à cette dernière, puisqu’elle est le pays qu’on accuse le plus souvent de voler les droits de propriété intellectuelle. Dans la mesure où c’est l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle qui s'occupe par définition de contenus éminemment confidentiels comme les dépôts de brevets, cette question a toute sa pertinence. Et en effet, quand l'ambassadeur chinois au Royaume-Uni signe une lettre publiée dans le Financial Times dans laquelle il défend la candidate chinoise à la direction de l’OMPI, c’est naturellement pour faire valoir le curriculum vitæ de celle-ci – trente ans passés à l'OMPI et de surcroît une femme –, mais aussi pour défendre son pays contre les accusations de vol de propriété intellectuelle, émis dans le même journal par un article de Peter Navarro, conseiller à la Maison-Blanche et auteur à succès de l'ouvrage Death by China. Le représentant américain au commerce, qui avait ouvert une enquête de sept mois sur le sujet et avait émis des recommandations à l’administration Trump, estimait que "les vols chinois de propriété intellectuelle coûtent entre 225 et 600 milliards de dollars chaque année".
Le cas de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle soulève d’autres questions, souvent négligées. D'abord, faudrait-il que l'organisation soit dirigée par le ressortissant d'une superpuissance de la propriété intellectuelle, comme la Chine dit l'être ? Ou bien la Chine devrait-elle, précisément pour cette raison et parce qu'elle entend promouvoir la "démocratie dans les relations internationales", se désister et laisser un candidat d'une nation moins impliquée dans la rivalité des superpuissances en prendre la direction ? De ce point de vue, le choix d’un candidat singapourien a du sens.
En réalité, plusieurs pays d'Asie de l'Est sont au premier plan de l'innovation mondiale. Dans ce contexte, quel type de superpuissance de l’innovation est réellement la Chine ? Effectivement, le pays s’est hissé au premier rang, de loin, en matière de dépôts de brevets à l'OMPI. Mais la majorité de ses dépôts de brevets sont à usage exclusivement national – les brevets déposés pour au moins un pays étranger sont bien moins nombreux. Le taux chinois de co-invention avec des partenaires étrangers a chuté, entre la période 1970-1999 et la période 2015-2017, de 40 % à 5 % ; les États-Unis, l'Allemagne, Singapour et la Corée du Sud ont tous surpassé ce taux. Rien ne pourrait prouver mieux que cela le tournant pris par la Chine vers "l'innovation indigène" - pour reprendre un terme chinois promu à la fin des années 2010. Au même moment, l'Europe de l'Ouest semble être la région du monde la plus active dans le domaine de la co-invention. Des clusters d'innovation comme Tokyo, New York ou encore la Silicon Valley surpassent toujours Pékin et Shenzhen. Huawei est la seule entreprise chinoise à avoir réussi à intégrer le Top 100 des innovateurs mondiaux de l'index Thomson-Reuters, qui mesure non seulement le nombre de demandes de brevets, mais aussi l'influence et le chiffre d'affaires.
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