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04/01/2021

Joe Biden doit franchir une dernière marche avant le pouvoir

Joe Biden doit franchir une dernière marche avant le pouvoir
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

L'élection qui se joue ce mardi 5 janvier aux États-Unis décidera de la majorité au Sénat et de la capacité de Joe Biden, le nouveau président élu, à engager son programme de réformes. Au-delà, elle transformerait le futur de la vie politique américaine écrit Dominique Moïsi.

Le 5 janvier 2021 les électeurs de Géorgie aux États-Unis ne choisiront pas seulement les deux personnes qui représenteront leur État au Sénat. Ils décideront de l'équilibre global des forces politiques aux États-Unis. Joe Biden disposera-t-il d'une majorité dans les deux chambres, ce qui rendrait infiniment plus crédible la mise en œuvre de ses ambitieux programmes de réforme ? Si sa volonté première - plus encore que de réconcilier l'Amérique avec le monde - est de réconcilier les Américains entre eux, disposer d'une majorité dans les deux chambres constituera pour lui, en ce début de mandat, un atout rare et précieux. Si les deux candidats démocrates de Géorgie sont élus - donnant ainsi un avantage au parti du président avec la voix qui compte double de la vice-présidente Kamala Harris, on pourra même rétrospectivement parler de l'existence d'une "minivague bleue" aux élections de 2020-21.

Une nouvelle défaite du Parti républicain en Géorgie en l'espace de deux mois constituerait un handicap pour Donald Trump qui augurerait mal de ses chances en 2024.

Même si l'opposition républicaine a fait beaucoup mieux que ne le prévoyaient les instituts de sondage, même s'il existe au sein du Parti démocrate des sensibilités très différentes qui risquent de l'affaiblir, une telle interprétation ne serait pas si loin de la vérité. Un tel résultat, attendu avant le scrutin de novembre, apparaîtrait presque comme un "rattrapage" inespéré en janvier.

Président empathique

Joe Biden peut certes se prévaloir d'une expérience unique du fonctionnement du Sénat, avec sa connaissance personnelle des sénateurs eux-mêmes. Sur ce plan, n'est-il pas une sorte d'anti-Obama ? Un président empathique (et non charismatique) à l'écoute des représentants du peuple. Barack Obama avait d'autres qualités, mais pas celle-là. Il y avait, chez lui, une impatience - certains diraient une arrogance - qui le rendait incapable d'écouter, de séduire, de convaincre des élus qui n'arrivaient pas intellectuellement à sa cheville et qui se sentaient méprisés par ce prince de l'esprit, noir de surcroît.

Joe Biden a mis en avant ses cartes personnelles avec les sénateurs, pour préparer le camp démocrate à une défaite probable aux élections sénatoriales du 5 janvier. Mais tel n'est plus le cas aujourd'hui. À en croire les derniers sondages, les chances de l'emporter des deux candidats démocrates (Jon Ossoff et le pasteur Raphael Warnock) sont devenues bien réelles.

Un tel résultat, s'il se confirmait, ne transformerait pas seulement la lecture du passé et du présent, mais potentiellement le futur de la vie politique américaine. Une nouvelle défaite du Parti républicain en Géorgie en l'espace de deux mois constituerait un handicap pour Donald Trump qui augurerait mal de ses chances en 2024. Et ce d'autant plus que le président apparaîtrait comme directement responsable de l'échec de son parti dans un État républicain depuis près de trente ans. À Atlanta, la ville de Martin Luther King, Trump aurait à nouveau "réussi" à mobiliser contre lui de manière exceptionnelle tous ses opposants. Ce serait aussi la confirmation que - au-delà du soutien sans faille du noyau dur de ses partisans - le comportement de Donald Trump au cours des deux derniers mois s'est retourné contre lui : nuisant ainsi au Parti républicain.

La faute de Trump

Certes l'Amérique n'est pas la France. Un "revote" dans un seul État n'est pas l'équivalent d'une élection législative succédant à une élection présidentielle : les électeurs français entendant, le plus souvent, donner au président qu'ils se sont choisi une majorité pour gouverner à l'Assemblée nationale.

Pour autant, on ne saurait totalement exclure ce type de raisonnement aux États-Unis, surtout à l'heure du coronavirus. Le comportement irresponsable, dangereux même, du président depuis le 3 novembre - mélange de déni et de provocation - n'a fait que conforter la détermination de ses adversaires. L'homme qu'ils ont voulu "battre" n'est-il pas le président défait qui a utilisé de la manière la plus choquante son droit de grâce présidentielle ? Celui, surtout, qui conteste contre toute évidence le résultat des urnes, au point d'en appeler ses partisans dans la rue le 6 janvier 2021, pour une ultime tentative - par l'intimidation, sinon par la violence - de retournement du vote démocratique des électeurs ?

Il existe une forme de résignation, sinon de fatalisme négatif, quant à l'avenir des États-Unis et, plus globalement, de la démocratie dans le monde, qu'il convient de combattre.

Pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, parmi les pays de plus d'un million d'habitants, le nombre de pays démocratiques est devenu inférieur à celui des pays qui ne le sont pas. Cette régression démocratique est particulièrement inquiétante sur le continent africain. Dans ce contexte préoccupant, comment ne pas juger l'attitude de Donald Trump comme particulièrement déstabilisatrice ? Son comportement est-il avant tout tribal ou mafieux ? Une chose est certaine, sa priorité n'est pas le bien commun des Américains.

Bien sûr, la défaite de Trump n'est pas celle du trumpisme. Et, quelles que puissent être les qualités de Joe Biden comme président - supérieures probablement à celles qui furent les siennes comme candidat - l'Amérique reste gravement affaiblie, divisée, bref malade. Faire confiance à Biden et à son équipe est une chose ; avoir confiance en l'avenir de l'Amérique en est une autre. Pourtant, il existe une forme de résignation, sinon de fatalisme négatif, quant à l'avenir des États-Unis et, plus globalement, de la démocratie dans le monde, qu'il convient de combattre. Le mal dont souffre l'Amérique est sérieux, mais pas nécessairement terminal. Le déclin est bien là, mais pas irréversible. Et sur ce plan, les journées qui viennent peuvent être décisives.

Transformer l'essai

Il peut être tentant d'établir un parallèle entre la crise sanitaire et la situation politique américaine. Au niveau de la pandémie, une course est engagée entre l'application du vaccin et l'extension du virus. De la même manière, sur le plan politique américain, une course se termine entre un camp démocrate victorieux, qui veut "transformer l'essai" en Géorgie, et un président battu, qui compte sur le soutien d'irréductibles partisans pour contester dans la rue le résultat des urnes.

D'ici jusqu'à l'intronisation de Joe Biden le 20 janvier midi (heure de Washington), l'Amérique risque de traverser une zone de turbulences bien réelle. Saura-t-elle la surmonter en dépit de la politique d'obstruction délibérée et des ultimes tentatives de déstabilisation de Donald Trump ? Vraisemblablement oui : à l'heure du Covid, qui veut d'une guerre civile, ou d'une guerre tout court avec l'Iran ?

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 04/01/2021)
Copyright : JIM WATSON / AFP

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