Le risque majeur de la politique de "strangulation" américaine est qu’elle pourrait conduire, certes, à un effondrement, mais à un effondrement du pays et non du régime : situation épouvantable pour la population iranienne, première victime de la dégradation de l’économie et de la vétusté des infrastructures, mais supportable pour les conservateurs qui détiennent les clefs du système et seront tentés de répondre à l’effondrement du pays par un durcissement du régime. Certains observateurs vont jusqu’à penser qu’en toute hypothèse, ce ne sera pas l’équipe Rouhani-Zarif qui pourrait être autorisée par le Guide à renouer une négociation avec Washington et qu’un changement de gouvernement à Téhéran, à défaut d’un changement de de régime, pourrait constituer un préalable à toute reprise du dialogue.
La situation que l’on vient brièvement de décrire offre-t-elle une possibilité d’action aux Européens ? Pour tenter de donner une réponse à cette question, il faut sans doute tenir compte de trois données.
En premier lieu, il convient de résister au récit sur l’impuissance de l’Europe, certes incapable de protéger ses intérêts à caractère économique. Les Européens ont cependant joué un rôle décisif – qu’ils doivent faire valoir auprès des Iraniens – pour éviter l’isolement politique de l’Iran, facilitant ainsi la résistance des Chinois et d’autres aux sanctions américaines. Ils ont ainsi puissamment contribué à maintenir l’Iran dans l’accord nucléaire, et ont donc en fait atteint leur objectif immédiat en matière de non-prolifération. Autrement dit, l’efficacité de l’action européenne doit être évaluée à l’aune de critères politiques et non de critères exclusivement économiques.
En second lieu, les Européens doivent se préparer à une double montée des tensions, avec Washington d’une part, et avec Téhéran d’autre part. Avec Washington : le projet d’un instrument financier – le Special Purpose Vehicule – malgré sa portée très limitée, suscite des réticences en Europe même et provoque aux Etats-Unis la colère de beaucoup de responsables. Il serait tactiquement opportun pour les capitales qui soutiennent le Special Purpose Vehicule de présenter celui-ci comme étant destiné à préserver l’acquis du JCPOA et non comme une étape vers l’autonomie stratégique de l’Europe. Vis-à-vis de Téhéran : sur d’autres dossiers que le nucléaire, et notamment sur la question des missiles balistiques, on peut craindre qu’une logique de durcissement l’emporte de part et d’autre. Accessoirement, il est nécessaire de rappeler aux Iraniens que s’il leur arrivait de mener à bien une tentative d’attentat en Europe, similaires à celles mises en échec par les services en France et au Danemark, l’effet serait dévastateur - comme le prouve l’effet de l’affaire Khashoggi sur les relations avec l’Arabie saoudite.
Enfin, le seul moyen pour les Européens d’exploiter une éventuelle "fenêtre d’opportunité" est d’intensifier le dialogue, tant avec Téhéran qu’avec Washington. Le cadre proposé par M. Macron d’un nouveau "paquet global" (nucléaire, régional, balistique) se heurte jusqu’ici à un non possumus de Téhéran et en réalité de Washington. Cela n’empêche pas d’offrir aux Iraniens la possibilité d’ouvrir la discussion sur chacun des sujets, dans des formats variés et à des rythmes différents, en capitalisant sur le fait que les dirigeants de la République Islamique pourraient engranger le maximum d’éléments de "normalisation" dans leurs rapports avec leurs grands partenaires. Ultimement, l’objectif pour les Européens devrait être, en s’adressant aux courants les plus pragmatiques de part et d’autre, d’obtenir que les deux capitales finissent par reconnaître qu’il serait de leur intérêt de ne pas différer trop longtemps l’heure de renouer entre elles des contacts substantiels.
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