Ce 12 novembre, le Forum de Paris pour la Paix a accueilli un débat inhabituel (coorganisé par l’Institut Montaigne, International Crisis Group et le Forum de Paris) : une personnalité iranienne et une personnalité saoudienne ainsi qu’une journaliste européenne et le président (américain) d’International Crisis Group, Robert Mallet, ont sereinement discuté de la situation dans le Golfe arabo-persique devant un public nombreux et attentif. Le signataire de ces lignes modérait l’exercice.
Le fait même que cette discussion ait eu lieu montre que quelque chose a changé dans la région : les voisins de l’Iran ne peuvent plus se permettre de tenir la République islamique pour un paria non fréquentable. Pourquoi ce changement d’atmosphère ? La raison est très simple : au cours de ces derniers mois, l’Iran a fait évoluer clairement en sa faveur le rapport des forces dans la région, et cela par une série d’incidents calculés, le plus souvent provoqués par des proxies, qui n’ont pas entraîné de réponse au même niveau de la part des États-Unis. La garantie de sécurité américaine s’est trouvée dévaluée. L’enthousiasme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour la politique trumpienne de "pressions maximales" contre l’Iran a manifestement baissé d’autant.
On se souvient en particulier de l’épisode de la destruction en vol d’un drone américain par la défense iranienne et de la décision de Donald Trump, au dernier moment, de renoncer à une riposte. L’attaque des installations d’Aramco le 14 septembre, revendiquée par les alliés yéménites des Iraniens (les Houthis), d’une ampleur et d’une audace impressionnantes, a eu encore plus d’effets. Elle a été suivie de déclarations du président américain laissant clairement aux Saoudiens le soin de se défendre. Les Iraniens ont eu de surcroît l’habileté de présenter quelques jours plus tard, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, une proposition apaisante qui peut passer pour une branche d’olivier. Le projet Hope, qu’a développé le président Rouhani, viserait à négocier entre les voisins du détroit d’Ormuz un pacte de non-agression et toute une série de mesures de confiance. Cela impliquerait de nombreux contacts à tous niveaux entre États de la région.
Le scénario régional iranien, "l’espoir" tant attendu ?
Dans le débat au Forum de Paris, notre interlocuteur saoudien n’a pas écarté d’un revers de la main la proposition iranienne, comme cela aurait sans doute été le cas il y a quelques mois encore. L’impression existe que de premiers contacts, au moins dans des circuits non officiels, se nouent entre Saoudiens et Iraniens. Les Émiratis avaient pris les devants dès cet été en envoyant une délégation officielle à Téhéran. D’autres États du Golfe suivent la même voie. Au fond, l’Iran n’est plus isolé dans son environnement immédiat. Il se peut même que des tractation aient commencé entre Américains et Iraniens sur un éventuel échange de prisonniers.
À partir de là, comment les Iraniens vont-ils jouer leurs cartes ? On peut imaginer qu’ils cessent au moins pour un temps leurs provocations régionales de façon à accroître les gains qu’ils ont engrangés dans leurs relations avec leurs voisins. Tout en mettant en avant le projet Hope, ce sont sans doute les relations bilatérales qui les intéressent de manière à affaiblir l’influence américaine et à améliorer leurs échanges économiques avec leur environnement proche. Dans le même esprit, ils modèrent leur réaction à l’incursion turque dans le nord-est syrien, qui leur déplait souverainement.
On peut inversement craindre que les stratèges iraniens ne veuillent pousser leur avantage, qu’ils planifient de nouveaux coups comme celui du 14 septembre, au risque cette fois de ne plus aussi bien calculer et de provoquer une réponse américaine sévère. Une autre crainte réside dans ce que peut être la réaction des Gardiens de la révolution aux mouvements politiques et sociaux en cours en Irak et au Liban, dans lesquels ils ne manquent pas de voir la main de services ennemis.
La question nucléaire : l’autre front iranien
En toute hypothèse, tout scénario régional sera nécessairement en relation avec ce qui se passe sur l’autre front, celui du programme nucléaire. Sur ce terrain, c’est nettement l’esprit d’escalade qui continue à prévaloir depuis plusieurs mois, plus exactement depuis la décision américaine de ne pas renouveler les exemptions ("waivers") aux sanctions touchant les achats de pétrole à l’Iran par quelques pays.
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