Les autres conséquences dépendent beaucoup de la volonté et de la capacité chinoise de refuser ou de contourner les sanctions internationales. Au sein d’exportations chinoises "modestes" vers la Russie (68 milliards de dollars américains, soit "seulement" douze fois les ventes françaises…), les équipements de communication et digitaux représentent le premier poste. Or, les États-Unis ont édicté des interdictions d’exportations dans le domaine des semi-conducteurs, et le cas récent de Huawei montre à quel point, dans certains domaines, la production chinoise reste dépendante de brevets ou de composants, y compris de pays tiers (et de Taiwan) dont les États-Unis peuvent contrôler les flux. À moyen terme, le secteur de l’aviation civile est lui aussi concerné. Après le C919, la Chine a commencé avec la Russie un projet pour le C929, un avion plus grand pour lequel les réacteurs doivent être développés avec Aviadvigatel, du groupe russe United Engine Corporation (UEC). D’une part, les faiblesses russes dans ce domaine auraient impliqué d’associer un des motoristes occidentaux ; d’autre part, où serait vendu un tel avion si les sanctions sont maintenues, et vers où volerait-il ?
À ces exemples, on mesure que le découplage complet dans ces domaines avec les États-Unis suppose, au-delà du marché sino-russe, que les deux pays réussissent sur le plan technologique, et que leurs produits soient acceptés par des marchés tiers significatifs. Ils en sont encore loin, alors que la coopération militaire ne pose pas les mêmes problèmes.
L’autre grande inconnue concerne bien sûr les flux financiers. Commençons par une convergence très forte des politiques chinoise et russe : l’une comme l’autre ont maintenu (Chine) ou acquis (Russie) un équilibre budgétaire, et tandis que la Russie acquérait 640 milliards de dollars de réserves en devises sur la rente énergétique, la Chine de Xi a modéré son appétit pour l’endettement intérieur. La création de systèmes de paiement internationaux alternatifs à SWIFT (même si le système chinois en dépend considérablement), un contrôle accru sur les oligarques russes et grands entrepreneurs chinois, l’utilisation à sens unique des places offshore et de leur opacité… : tout cela est commun aux deux régimes.
Mais l’essor même de la Chine implique une interdépendance plus importante. Les banques chinoises ont tantôt dû appliquer pour l’essentiel les sanctions américaines (cas de la Corée du Nord, avec des sanctions américaines indirectes contre des établissements à Macao), tantôt été épargnées par les États-Unis (cas de l’enlèvement du pétrole iranien, vraisemblablement réglé en yuan et en crédits commerciaux pour les importations iraniennes). Cette fois-ci, le problème est bien plus grand, l’interdiction des flux avec la banque centrale russe constituant une surprise. Certes, il existe des échappatoires à court terme : notamment, 60 milliards de dollars de dépôts en Chine par la BCR de réserves en yuan. La Russie de devrait pas être empêchée de les mobiliser pour payer ses propres importations ou récupérer des liquidités en roubles, tant que le cours du yuan et les excédents commerciaux chinois sont par ailleurs ascendants : on peut même concevoir que des ventes russes arrangent la banque centrale chinoise en lui évitant des interventions pour limiter cette hausse. On observe à court terme une offensive du système UnionPay et des banques chinoises en Russie sur les cartes de crédit : ceci servira sans doute aussi à accroître les ventes de l’e-commerce chinois en Russie, et plus largement celle de biens de consommation. Mais avec quelles ressources du côté des consommateurs russes, si le rouble poursuit sa chute ?
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