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21/10/2019

À Hong Kong, les dernières heures de liberté avant l'intervention chinoise

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À Hong Kong, les dernières heures de liberté avant l'intervention chinoise
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

La montée de la violence dans les rues, l'incapacité des autorités de Hong Kong à rétablir l'ordre, après avoir délibérément semé le désordre, semblent annoncer la reprise en main musclée et directe des territoires par Pékin, écrit Dominique Moïsi. Pour la Chine de Xi Jinping, une intervention est stratégique, afin de ne pas laisser croire à ses ennemis qu'elle fait preuve de faiblesse.

Vivons-nous les derniers jours de Hong Kong, comme cité-monde asiatique, où règne encore l'état de droit ? Cet appendice de liberté se sent de moins en moins chinois, et de plus en plus solitaire, dans sa tentative désespérée de rester lui-même. Il n'y a pas si longtemps de cela, les Occidentaux en mal de liberté, de créativité, bref d'oxygène, venaient se réfugier dans ce territoire, l'espace d'un week-end, après des séjours trop "ordonnés" à Singapour ou à Shanghai. Aujourd'hui, les riches citoyens de Hong Kong ouvrent des comptes en banque à Singapour. Hier, lorsque l'on prenait le ferry pour aller d'une rive à l'autre, l'odeur de Hong Kong évoquait celle des canaux de Venise. Aujourd'hui, la ville semble dominée par l'odeur des fumigènes utilisés sans retenue par la police. La montée de la violence, l'incapacité des autorités de Hong Kong à rétablir l'ordre, après avoir délibérément semé le désordre - en remettant en cause le statu quo -, ne constituent-ils pas le prélude à la reprise en main musclée et directe des territoires par Pékin ? Comment un régime autoritaire qui retrouve avec Xi Jinping une centralisation extrême, sinon son essence totalitaire, pourrait-il tolérer une révolte qui, avec le temps, est devenue une révolution ? Chaque jour qui passe, les citoyens de Hong Kong semblent narguer davantage le dernier empereur communiste en contestant la légitimité des autorités de la ville.

À Pékin, le pouvoir peut laisser entendre que seul le sort de Taïwan les préoccupe vraiment. C'est un leurre. La Chine prépare sa revanche qui interviendra le moment venu. Maintenant que les cérémonies du 70e anniversaire de la création de la République populaire sont passées, ce moment s'approche irrésistiblement.

Chaque jour qui passe, les citoyens de Hong Kong semblent narguer davantage le dernier empereur communiste en contestant la légitimité des autorités de la ville.

Dans une comédie légère des années 1960, La souris qui rugissait, une minuscule principauté européenne faisait céder les Etats-Unis en s'emparant par mégarde de leur arme atomique. La cité asiatique mondiale ne dispose d'aucune arme secrète pour faire céder la Chine. Elle n'est plus la poule aux oeufs d'or d'hier, même si elle demeure une puissance financière significative, même si de riches Chinois, y compris dans la famille de Xi Jinping, y ont des biens importants.

Vue de Pékin, la contestation par la rue de l'ordre chinois est une humiliation inacceptable, insupportable même. Si la Chine ne punissait pas avec sévérité les territoires indisciplinés, ses ennemis verraient dans sa retenue de la faiblesse, et non, une sage modération. Tant pis si une intervention musclée affaiblit, de manière temporaire, le soft power de la Chine et son pouvoir de convaincre. Son pouvoir de contraindre est plus important à ses yeux.

Tant pis si la violation de la formule "un Etat, deux systèmes" renforce Taïwan dans sa volonté d'indépendance, et les citoyens de Hong Kong dans un esprit de résistance qui ne peut que grandir avec le temps. Les plus nostalgiques de la liberté partiront vers le Canada ou l'Australie, s'ils veulent rester en Asie-Pacifique. Les autres s'adapteront et se draperont derrière le nationalisme et la fierté patriotique des continentaux. En ce qui concerne Taïwan, 2049 est encore loin, il sera bien temps de faire revenir l'île démocratique au sein de la Chine pour le 100e anniversaire du régime. C'est tout simplement une question de taille : le plus gros finit par absorber le plus petit.

La situation à laquelle autorités et citoyens de Hong Kong se trouvent désormais confrontés est-elle simplement le produit de l'incompétence des premiers et de la fuite en avant des seconds ? Et quel est le rôle de Pékin dans cette affaire ? "Ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs", écrivait Jean Cocteau dans Les Mariés de la tour Eiffel. Xi Jinping est-il un disciple de Cocteau ou a-t-il dès le début conçu le plan d'une remise en cause de la spécificité de Hong Kong ? Sans verser dans la théorie du complot, l'incompétence, apparente ou réelle, de Carrie Lam ne sert-elle pas son dessein révisionniste et unificateur ?

Pourquoi garder "deux systèmes", en effet, si le modèle autoritaire à la chinoise est en train de s'imposer comme une alternative crédible au modèle démocratique à l'occidentale ? Modèle qui lui-même, il est vrai, n'est plus ce qu'il était. Certains manifestants dans les rues de Hong Kong peuvent bien brandir le drapeau américain ou britannique et brûler le drapeau chinois. Mais l'Amérique de Donald Trump ou la Grande-Bretagne de Boris Johnson méritent-elles encore que l'on meure pour elles ?

Pourquoi garder "deux systèmes", en effet, si le modèle autoritaire à la chinoise est en train de s'imposer comme une alternative crédible au modèle démocratique à l'occidentale ?

Qui disait que seul un régime démocratique pouvait, par une croissance continue de son économie sur une longue période, voir le revenu moyen de sa population dépasser les 10.000 dollars ? La Chine l'a fait avec une espérance de vie de ses citoyens qui a plus que doublé en soixante-dix ans, passant de trente-cinq à soixante-dix-sept ans.

La conviction ultime des dirigeants chinois est que - tout comme les dirigeants de la ligue de basket-ball aux Etats-Unis, qui se sont excusés auprès de Pékin après les déclarations "pro-Hong Kong" d'un des leurs - la majorité des gens aiment l'argent plus que la liberté et la démocratie. Une interprétation du matérialisme historique qui n'était pas nécessairement celle de Karl Marx. Après la répression sur la place Tiananmen, il y a trente ans de cela, les critiques ont été plus virulentes que durables. Aujourd'hui, Xi Jinping semble convaincu que le temps joue en sa faveur. Il joue en quelque sorte la montre et est persuadé que le gouvernement de Hong Kong sera incapable à lui seul de rétablir l'ordre. À un moment donné, une fracture s'approfondira entre les plus modérés et les plus radicaux des manifestants.

Cette stratégie a un coût. En remettant en cause la formule "un Etat, deux systèmes", la Chine plonge Hong Kong dans la violence et la récession. L'ambition de Xi Jinping est-elle de renforcer les places financières européennes face à Hong Kong ?


Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 18/10/2019)

Copyright : ED JONES / AFP

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