Plus grave encore : les producteurs de pays tiers attentifs au climat, mais dont les émissions seraient inférieures à la valeur moyenne fixée, seraient moins bien traités que les producteurs de l’UE ayant le même bilan carbone. Cette situation pourrait être évitée en offrant aux importateurs la possibilité de prouver que le bilan carbone du produit venant du pays tiers est meilleur que la valeur moyenne fixée. Dans un tel cas, le montant exigé dans le cadre du CBAM serait réduit d’autant. La possibilité de pratiquer une telle différenciation serait un avantage, non seulement pour l’action climatique, mais aussi du point de vue du droit commercial.
Pourtant, elle comporte aussi des risques d’abus et implique d’importants surcoûts administratifs. Les premiers devraient être minimisés par les modalités concrètes du CBAM. Quant aux surcoûts administratifs, il semble pertinent, pour les juguler, de rechercher un bon équilibre entre l’impact et la dépense dans le choix des produits et des secteurs concernés. On considère généralement que des secteurs tels que le ciment et l’acier répondent à un tel critère. La Commission a déjà précisé qu’elle ne voulait utiliser le dispositif d’ajustement aux frontières que pour certains secteurs choisis, même si le Parlement européen, dans son rapport sur le CBAM, a prévu pour ce dernier un champ d’application très large.
Une diplomatie nécessaire, des opportunités nombreuses
Mais il est possible que la plus grande difficulté rencontrée par le CBAM soit son insertion dans le cadre réglementaire international. En la matière, le potentiel de conflits est considérable, que ce soit sur le plan du droit commercial ou de la politique climatique. Certes, la plupart des pays du monde ont déjà pris des engagements en faveur de la protection du climat. Mais les approches choisies sont difficilement comparables, l’Accord de Paris reposant très largement sur le volontarisme. On est à des années lumières d’un prix mondial du carbone. Au contraire, les démarches nationales reflètent toute la diversité des préférences, des priorités et des postulats de pays aussi différents que peuvent l’être la Russie et les Tuvalu, l’Arabie saoudite et la Suède, le Canada et le Costa Rica.
Dans ce paysage on ne peut plus hétérogène, l’instauration du CBAM pourrait être perçue comme une manœuvre de protectionnisme économique, donc mal comprise et discréditée, avec le risque de mesures de rétorsion commerciale que cela pourrait entraîner - c’est ce que craint par exemple la Fédération de l’industrie allemande (Bundesverband der Deutschen Industrie). Dans l’hypothèse où de grandes puissances économiques telles que les États-Unis et la Chine, ou encore des pays comme l’Inde et le Brésil, feraient front commun contre le CBAM, il deviendrait quasiment impossible de l’imposer politiquement. L’UE en a déjà fait l’amère expérience par le passé sur une question légèrement différente, celle de l’inclusion du trafic aérien international dans le système européen d’échange de quotas d’émission. Même s’ils ne sont pas les premiers visés par le dispositif du CBAM, les pays en développement pourraient, eux aussi, être durement touchés, en particulier les économies les plus faibles sur le plan administratif ou peu diversifiées. Il est nécessaire d’y songer en amont.
Une offensive diplomatique réussie pourrait ouvrir la voie à des coopérations qui renforceraient la protection internationale du climat. Pour y parvenir, on pourrait s’appuyer sur les multiples projets mis en place et promesses d’action climatique formulées de par le monde. La Commission européenne semble d’ores et déjà chercher la discussion avec d’importants partenaires commerciaux et gros émetteurs de CO2 tels que les États-Unis, la Chine et la Russie. Il faudrait par exemple examiner quelles mesures de protection du climat peuvent être considérées comme ayant un impact équivalent afin d’éviter des mesures d’ajustement aux frontières entre partenaires commerciaux.
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