Nous disposons désormais de deux leviers décisifs : le levier technologique, déjà mentionné, et le levier culturel. La population européenne est beaucoup plus sensible aux impératifs écologiques, la norme sociale change, les tendances de marché évoluent. Ce qu’il manque ? La modification des règles politiques, des cadres réglementaires, pour rendre ce changement systémique possible. Or, c’est précisément ce que nous faisons avec le "Green Deal". Ensuite, il faut une nouvelle méthode pour négocier les transitions. Face aux défis à relever pour transformer notre agriculture, nos mobilités, sortir de notre dépendance aux énergies fossiles ou proposer une économie circulaire qui ne surexploite plus les ressources, nous devons opérer une mutation profonde de nos économies. Les tensions potentielles et les intérêts divergents sont nombreux et il n’y a rien de pire que de céder au simplisme. Le temps est venu de bâtir les conditions de cette transformation, à construire le "comment".
Notre société est complexe, les gens sont complexes, ils sont pris dans des contradictions, des contraintes matérielles. Il faut négocier les transitions du XXIe siècle à l’image des négociations sociales qui ont construit l’État providence au XXe siècle. C’est pourquoi, en France comme en Europe, je pousse pour des négociations de filière permettant de dépasser les obstacles que nous avons rencontré jusqu’à présent. Prenons l’exemple des transporteurs routiers. Le débat se focalise habituellement sur la nécessaire réduction des aides fiscales dont ils bénéficient sur le gazole, ce qui constitue une subvention qui coûte des milliards aux contribuables et va contre notre objectif climatique. Mais en faisant cela on fait payer le coût de la transition au maillon le plus faible de la chaîne de valeur que sont les transporteurs dont l’équilibre économique est précaire. Résultat, une menace de blocage de rond-point envoyé à Matignon suffit à freiner les ardeurs réformatrices. Et rien ne change. Il faut prendre le problème à l’envers et créer les conditions pour que les transporteurs routiers concernés puissent accéder rapidement à des camions plus propres qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter seuls. Et il faut bien sûr financer les infrastructures de recharge électrique ou hydrogène pour que le déploiement des camions propres puisse se réaliser. Et cela doit être payé en partie par la collectivité et en partie par les acteurs de la chaîne de valeur (transporteurs certes mais surtout chargeurs, donneurs d’ordre…). Tout cela implique une négociation qui n’a pas encore eu lieu. Cet exemple est transposable à l’agriculture, au logement… C’est pourquoi, à côté du choc normatif que représente le Green Deal européen, il faut développer une méthode et une culture de la négociation des transitions comme nous avons su le faire partout en Europe sous des formes différentes mais convergentes pour la création de l’État providence au XXe siècle.
Le Green Deal européen est une aventure exceptionnelle. Si nous réussissons, nous pourrons donner à l’Europe un sens supplémentaire, celui d’avoir inventer le nouveau modèle de prospérité du XXIe siècle, comme elle a su dans le passé être à la pointe de la modernité et des révolutions économiques.
Copyright : JACQUES DEMARTHON / AFP
Ajouter un commentaire